Rares sont les musées ou les centres d’art qui offrent des visites adaptées aux malvoyants. Le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) a organisé un tel évènement le mois dernier. J’y ai pris part en compagnie d’une dizaine de personnes aveugles et tout autant d’accompagnateurs.

Les dix personnes qui ont eu droit à cette expérience sont membres du Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM). Une invitation leur a été faite de visiter l’exposition des œuvres de Lili Reynaud-Dewar qui était présentée dans les salles temporaires du MAC à la Place Ville Marie.

Un minutieux travail de préparation avait été fait en amont par l’équipe du musée. Rien n’a été laissé au hasard. On nous a d’abord réunis dans une salle où une carte tactile a permis aux visiteurs de situer l’emplacement des œuvres dans les deux salles.

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La guide et interprète de l’expo, Lilia Khadri, avec une participante non voyante

Dans la première, on pouvait voir des sculptures en aluminium de l’artiste. Comme le MAC s’est porté acquéreur de l’une d’elles, on a permis aux visiteurs d’enfiler des gants afin d’y toucher pour mieux sentir ses formes. Deux employées du MAC, Véronique Lefebvre et Lilia Khadri, ont répondu aux questions des personnes malvoyantes très conscientes du privilège dont elles jouissaient.

Puis, tout le monde s’est déplacé dans la seconde salle où étaient projetées les vidéos de Lili Reynaud-Dewar. Cette fois, on a eu recours à l’audiodescription pour aider les personnes aveugles à voir les images.

Les descriptions étaient tellement justes et précises que certains visiteurs ont réagi exactement comme l’ont fait les autres visiteurs (non aveugles) face aux œuvres vidéographiques de l’artiste. Précisons que celle-ci apparaît entièrement nue dans chacune des vidéos, ce qui ne manque pas de causer un certain malaise à l’occasion.

Cette visite requiert beaucoup d’efforts de la part de l’équipe du MAC. C’est sans doute ce qui explique pourquoi on retrouve si peu d’initiatives du genre au Québec. Le Musée des beaux-arts de Montréal a organisé des visites pour les malvoyants dans le passé, mais on a mis cela de côté depuis la pandémie.

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Des non-voyants font la visite de la dernière exposition du Musée d’art contemporain à la Place Ville Marie.

On m’a toutefois dit par courriel que le MBAM « travaille à la mise en place d’un nouveau programme destiné à ces publics ».

En avril dernier, ma collègue Stéphanie Morin a publié un reportage sur les moyens que mettent de l’avant les théâtres pour favoriser l’accessibilité universelle. On se rend compte que, malgré une certaine évolution, le Québec traîne la patte, particulièrement dans les musées.

Lisez le reportage de Stéphanie Morin

« Je m’intéresse à ce qui se fait en Europe et aux États-Unis et on doit le reconnaître, nous sommes loin derrière, m’a confié Pascale Dussault, directrice générale du RAAMM. Le Québec en est à ses balbutiements dans ce domaine. »

Environ 350 000 personnes souffrent d’un handicap visuel au Québec. De ce nombre, 100 000 vivent sur le territoire du Grand Montréal. Le RAAMM rassemble 350 membres.

Pascale Dussault, qui est pourtant bien au fait de ce qui se fait pour les personnes malvoyantes à Montréal, a eu du mal à me nommer les institutions muséales ou les centres d’art qui offrent des activités dédiées. « J’ai appris que le nouveau Musée des mémoires montréalaises (MEM) offre un atelier pour les personnes malvoyantes. Mais c’est peu de chose. »

Il faut dire que l’organisation d’une activité dédiée nécessite une grande planification, des ressources humaines, des outils technologiques et de l’argent. « Il faut saluer l’effort de ceux qui le font, car nous ne sommes pas une clientèle très importante pour eux », ajoute Pascale Dussault.

L’approche préconisée par les institutions, aussi appréciée soit-elle, fait en sorte que les activités doivent avoir lieu à jour et à heure fixes.

Pascale Dussault souhaiterait des mesures qui offriraient plus de souplesse et permettraient aux personnes malvoyantes de fréquenter les musées à leur convenance avec un accompagnateur de leur choix.

« On devrait mettre davantage l’accent sur les audiodescriptions ou le braille pour faire en sorte qu’une personne malvoyante puisse y aller en tout temps avec son conjoint ou sa conjointe. »

Sur les 100 000 malvoyants qui vivent à Montréal, qu’est-ce qui détermine qu’une personne a envie de côtoyer l’art ou pas ? « C’est comme chez les voyants, m’a dit Pascale Dussault. Ce n’est pas la majorité qui est intéressée par la culture. »

L’expérience que vivent les malvoyants dans un musée est évidemment très différente de celle des visiteurs qui peuvent voir. Mais comme l’a dit quelqu’un au cours de la visite : « Ce qui compte, c’est que nous pouvons avoir un contact avec l’art, que nous pouvons en discuter. »

Au Théâtre Aphasique

Dans le cadre du Mois de l’accessibilité universelle, en octobre, le Théâtre Aphasique organise des évènements qui vont mettre à l’honneur la créativité de ses membres. D’abord, une exposition-performance interactive intitulée Apparences que nous pourrons voir à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal du 19 octobre au 26 novembre. Puis, au même endroit, la pièce Suivez le fil sera présentée le samedi 21 octobre. Le comédien Vincent Leclerc, porte-parole de l’organisme, nous invite à participer à la campagne de financement qui permettra la poursuite de la mission : bâtir un pont entre le silence et l’expression afin que personne ne reste isolé.

Consultez le site du Théâtre Aphasique