« Je suis fatigué comme novembre », écrit Olivier Lussier dans son excellent recueil Cariacou : Manuel de chasse à l’usage des poètes.

Je trouve l’image puissante. Novembre, c’est le mois de toutes les lassitudes. C’est la fin du party, les épaules lourdes, le cœur et les pieds dans une flotte pas claire. J’en ressens le poids chaque année. Sauf que là, ce sera peut-être différent…

J’ai récemment rencontré une artiste-chercheuse, lors d’une fête d’amis. Marie-Hélène Roch fait un doctorat en études et pratique des arts, à l’UQAM. Son projet s’appelle Hiver en nous. Depuis près d’une décennie, elle tente de comprendre les expériences individuelles que nous fait vivre l’hiver. Elle allie les concepts de résilience climatique, psychologie environnementale et identité territoriale pour imaginer de nouvelles manières d’habiter cette saison, en milieu urbain.

Je lui ai passé un coup de fil pour savoir si elle pouvait m’aider à revisiter novembre, pour commencer…

Elle a accueilli avec compréhension mon désamour pour le mois maudit : « C’est le mois de l’entre-saison où il y a plein de transitions physiques : la lumière, la température, la nature, dont les représentations nous confrontent… On peut trouver les arbres dénudés tristes, par exemple. Mais pour moi, il y a une grande beauté là-dedans ! Ces arbres-là, ça fait déjà des mois qu’ils se préparent à cette transition. »

Une capacité dont on pourrait s’inspirer, selon la membre du Laboratoire international de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique.

« En novembre, les gens sont confrontés à une forme d’intériorité. C’est le retour vers soi – que ce soit la maison ou soi-même. Est-ce qu’on pourrait en profiter pour investir dans une préparation qui irait au-delà de la transition technique, comme changer de pneus et de vêtements dans nos garde-robes ? Nous, comment on se prépare ? »

PHOTO SOPHIE BERTRAND, TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM HIVER EN NOUS

Bientôt, les éléments viendront nous jouer des tours et on aura peut-être le réflexe de vouloir les combattre.

Marie-Hélène Roch aimerait qu’on profite de ce mois-ci pour se poser une question : « Comment je veux traverser cet hiver ? »

Bientôt, les éléments viendront nous jouer des tours et on aura peut-être le réflexe de vouloir les combattre.

On est performants ; on tient à garder le même rythme à longueur d’année… Mais si on acceptait plutôt le ralentissement qu’impose l’hiver ?

« Ça pourrait se refléter dans l’horaire de travail, le niveau de tâches, la productivité attendue, les heures d’ouverture de certains commerces ou même la façon dont on conçoit nos aménagements, suggère Marie-Hélène Roch… Un espace de stationnement peut devenir une montagne de neige et, par la bande, une deuxième maison pour les familles d’un quartier. »

Les aménagements visant à faciliter le vélo d’hiver, à Montréal, sont un autre bon exemple d’initiatives qui peuvent transformer notre rapport à la nordicité urbaine. Tout comme les ruelles blanches, où se déploient patinoires, glissoires et rencontres entre voisins…

Il est possible de changer nos paradigmes.

La neige peut être un cadeau, bien qu’on la perçoive souvent comme un déchet dont on doit se débarrasser. « On en est venus à une domestication ! insiste Marie-Hélène Roch. Pourtant, quand la neige se dépose sur un territoire, elle l’unifie. Elle forme une espèce de neutralité et démocratise nos rapports sociaux. Face à la neige, on revient tous à un même niveau. Après, on priorise le déneigement entre voies automobiles, trottoirs et pistes cyclables… Mais qui le fait ? Et pour répondre à quelle demande ? »

PHOTO SOPHIE BERTRAND, TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM HIVER EN NOUS

La neige peut être un cadeau, bien qu’on la perçoive souvent comme un déchet dont on doit se débarrasser.

La chercheuse espère que l’enjeu du déneigement sera éventuellement investi par les citoyens autant que les ingénieurs : « Des artistes qui réfléchissent au déneigement, c’est ça que je veux ! »

Plus encore, elle aimerait qu’on réfléchisse à l’hiver à longueur d’année.

On embrasse le déni de mai à novembre, mais si on pensait à notre identité nordique en août (avec notre humeur légère, notre optimisme et notre BBQ), est-ce qu’on pourrait trouver des façons différentes de concevoir nos maisons, d’imaginer nos écoles ou d’explorer notre état d’insulaires urbains en plein hiver ?

Allons plus loin :

Est-ce qu’être nordiques pourrait influencer la manière de percevoir la crise climatique et d’assurer un avenir plus durable pour tous ?

Marie-Hélène Roch, artiste-chercheuse et initiatrice du projet Hiver en nous

Pensons à nos patinoires. L’an dernier, les jours où il était possible de profiter d’une installation publique extérieure non réfrigérée étaient particulièrement rares…

« Quand tu réalises que les enfants de tes enfants ne vivront peut-être jamais l’expérience de patinage sur un étang glacé, ça vient toucher une sensibilité, souligne la mère de famille. Je ne suis pas une fanatique de hockey, mais dans nos imaginaires collectifs, on ne pense pas que ça pourrait disparaître ! »

On gagnerait peut-être à voir nos hivers comme une enfilade de douces possibilités plutôt qu’une série de jambettes… À cultiver l’émerveillement qui accompagne la première tempête de neige. C’est le seul matin de l’année où je me permets de commencer à travailler en retard. Je marche jusqu’au casse-croûte le plus près en saluant les gens qui déneigent leur voiture, puis je me commande deux œufs-bacon. Je savoure cet arrêt du temps auquel nul n’échappe.

« On sait saisir ce moment-là et son effet magique, acquiesce Marie-Hélène Roch. Avec la crise environnementale, peut-être bien que cette notion d’éphémérité sera amplifiée… »

C’est donc décidé : l’hiver prochain, je veux ressentir la magnitude de ma chance.

(Bravo novembre, tu auras enfin servi à quelque chose.)