À l’aube de la nouvelle année et à la lumière de mes longues heures passées sur l’internet, j’ai dressé une liste de cinq tendances web à suivre cette année.

Après l’engouement pour l’IA, la fatigue

Depuis l’arrivée fracassante de ChatGPT dans la sphère publique, l’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, tous les écrans. Or, malgré les grandes promesses que renferme l’IA, tout porte à croire que la vie synthétique est loin d’être à nos portes. Un peu plus d’un an après la sortie de l’agent conversationnel d’OpenAI, notre engouement pour les grands modèles de langage ou les générateurs d’images est porté à s’essouffler. Certes, on est désormais en mesure de produire une infinité de deepfakes et de générer des textes plausibles et truffés de faussetés, mais on peine encore à voir se matérialiser ce qu’on appelle « l’intelligence artificielle générale ».

Le terme « intelligence artificielle » a d’ailleurs toujours désigné un idéal plutôt qu’une réalité. En replaçant l’IA dans son contexte historique, on remarque qu’elle a traversé plusieurs périodes de désintérêt répétitives qui ont forcé les chercheurs à favoriser d’autres termes pour décrire leurs activités et s’attirer du financement : apprentissage automatique, par exemple, ou encore informatique. Si la révolution annoncée n’a pas eu lieu, on constate cependant que les technologies d’IA déployées à ce jour contribuent à creuser les inégalités sociales, comme la technologie est mise au service d’un système économique qui favorise les clivages. C’est peut-être de ça qu’il faut s’inquiéter, et non d’une potentielle extinction humaine.

La génération Alpha débarque sur l’internet

La présence de ceux qu’on appelle parfois les « iPad Kids » se fait désormais sentir sur le web. En 2023, la popularité écrasante d’une série de courtes vidéos connue sous le nom de « Skibidi Toilet » et diffusée sur des plateformes comme YouTube (36,7 millions d’abonnés)1 et TikTok a cristallisé l’influence numérique croissante de ces jeunes internautes nés depuis 2010. Créée par l’animateur Alexey Gerasimov (alias DaFuq!?Boom!), cette production étrange et sans paroles met en scène une armée d’humanoïdes à cravate encastrés dans des toilettes. Ces derniers mènent une guerre sans merci contre des individus avec des caméras ou des télés à la place du visage. Mon neveu de 7 ans ne tarit pas d’enthousiasme pour ces créatures dystopiques qui risquent d’en dérouter plus d’un. Devant ces productions culturelles nouveau genre, parions que plusieurs internautes commenceront à se sentir vieux.

L’analyse critique du vêtement

En 2023, la mode est devenue un texte à déchiffrer plutôt qu’à suivre. La dernière année a été rythmée par une succession d’esthétiques vestimentaires comme le Barbiecore, le luxe discret ou encore le cartoon core, une mode confirmée par les « Big Red Boots », ces grosses bottes rouges virales commercialisées par la marque américaine MSCHF et inspirées du dessin animé Astro Boy. À la fois mème internet, objet culturel et marchandise, le vêtement constitue désormais la pierre angulaire d’un type de commentaire culturel extrêmement populaire sur le web. Son analyse critique contribue à mettre au premier plan des créateurs numériques comme Rian Phin2 ou encore Lyas3, des influenceurs qui ne cherchent pas à nous vendre des produits, mais plutôt à cerner les discours que ces tendances véhiculent et qui structurent notre monde. Cette tendance est d’ailleurs creusée à Télé-Québec grâce à Tout le monde s’habille, une nouvelle émission animée par Rosalie Bonenfant dans laquelle on s’intéresse à la portée socioculturelle du vêtement.

La montée du journalisme parasocial

Vous connaissez peut-être le photojournaliste gazaoui Motaz Azaiza4, sacré homme de l’année par GQ Middle East5, ou encore la cinéaste palestinienne Bisan Owda6, 25 ans, devenue l’un des visages de la résistance à Gaza. Leur couverture médiatique de la guerre Israël-Hamas exprime une nécessité, mais elle s’inscrit aussi dans la mouvance grandissante d’un journalisme parasocial, en phase avec les réseaux sociaux.

La relation intime qu’a nouée le monde avec les deux journalistes est à l’image du lien qu’on tisse avec les influenceurs. Motaz et Bisan mettent de l’avant le rapport personnel qu’ils entretiennent avec les évènements qu’ils documentent. Sur leur compte Instagram, les atrocités qu’ils rapportent au péril de leur vie ne sont pas des réalités abstraites ; elles marquent leur chair, les affament ou leur tirent des larmes. En partageant des pans de leur existence, ils nous permettent d’entretenir un sentiment de proximité avec eux. Plus que de simples lecteurs ou auditeurs, on devient ainsi leurs followers, on suit leurs faits et gestes avec l’impression de les accompagner dans leur quotidien. Motaz et Bisan confirment la montée croissante d’un journalisme parasocial qui s’enchâsse aux réseaux sociaux et met de l’avant une narration subjective et incarnée.

Le déclin du moteur de recherche Google

Je peine de plus en plus à trouver de l’information sur Google. Les liens qui me semblent pertinents n’apparaissent souvent qu’à la suite d’un fouillis de publicités et une multitude d’articles douteux. Cela s’expliquerait notamment par les techniques de référencement naturel (SEO) désormais largement employées pour améliorer la trouvabilité des pages web. Si ces techniques augmentent la visibilité de certaines pages sur Google, elles ne garantissent en rien la qualité du contenu que ces pages renferment. Piège à clics, publicité, propagande… tout peut être optimisé pour le moteur de recherche, même les pires détritus numériques.

Par conséquent, certains se tournent désormais vers l’application TikTok pour effectuer des recherches ! Si ce genre de comportement est plus populaire chez les jeunes, je me suis moi-même surprise à « googler » sur TikTok. Et si Google cessait peu à peu de façonner et de structurer nos errances numériques ? À suivre !

1. Voyez une vidéo de « Skibidi Toilet » 2. Consultez le compte YouTube de Rian Phin 3. Consultez le compte TikTok de Lyas 4. Consultez le compte Instagram de Motaz Azaiza 5. Lisez « Motaz Azaiza is Our 2023 Man Of The Year » (en anglais) 6. Consultez le compte Instagram de Bisan Owda