La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Sylvie* va avoir 70 ans. Célibataire depuis des années, elle avait plus ou moins mis une croix sur sa sexualité, jusqu’à ce qu’elle décide d’apprendre l’anglais. Pas n’importe comment : en lisant des romans. Pas n’importe lesquels : des romances. Entretien avec une femme seule et ménopausée, tout à coup « fortuitement » ranimée.

Ce n’est pas la première, d’ailleurs. Souvenez-vous. C’est en lisant le récit d’une jeune trentenaire à la libido retrouvée par le biais de certaines lectures coquines, le mois dernier, que Sylvie a osé nous écrire.

Dans un café anonyme d’Hochelaga-Maisonneuve, on devine la dame un tantinet stressée. « Je n’en reviens pas de vous rencontrer, j’ai l’impression que je n’ai rien à dire ! », confirme-t-elle en riant nerveusement.

Relisez le témoignage de Catherine

Elle débute pourtant avec une réflexion qui en dit long : « Passé 50 ans, les femmes seules, la société tient pour acquis qu’elles n’ont plus de sexualité. Comme si le corps arrêtait de fonctionner. Mais ce n’est pas parce que la ménopause arrive que, nécessairement, on arrête d’être une femme ! »

C’est tout de même ce qu’elle avait intériorisé, après une vie sans histoire, quoique trop souvent « vanille ». C’est précisément ainsi qu’elle qualifie ses deux premiers partenaires, rencontrés au secondaire, puis à l’université. « Position du missionnaire, résume-t-elle laconiquement. Un, deux, trois. Trois, deux, un. »

Je n’avais pas d’orgasme. J’ai connu ça à 30 ans !

Sylvie, fin soixantaine

Elle ne leur reproche rien, remarquez. Parce qu’elle le sait, elle n’était pas plus proactive à l’époque : « Je n’attendais pas ça non plus. Je me suis rendu compte que je ne demandais rien non plus ! »

Puis à 30 ans, donc, Sylvie rencontre l’« homme le plus significatif » de sa vie. C’est le père de son enfant et leur histoire dure 10 ans. « Avec lui, j’ai exploré, j’ai réveillé mon corps ! », s’illumine-t-elle tout à coup. Ensemble, ils essayent différentes positions, différents lieux, quelques jouets. C’est aussi avec lui qu’elle connaît ses « premiers frissons ». « Je suis au-dessus de lui, assise, wow, c’est quoi cette sensation-là ? »

Leurs premières années sont « très colleuses » et « vraiment magiques ». Elle se souvient de fins de semaine entières au lit, à rire, lire et se caresser. « Mais pourquoi il y a toujours un “mais” ? », s’exclame-t-elle ici. Parce qu’effectivement, il y en a un : « À un moment donné, on s’est perdus. On n’a pas été capables de se parler assez pour se raccrocher… », laisse-t-elle tomber, mi-nostalgique, mi-résignée.

Au tournant de la quarantaine, Sylvie se retrouve célibataire. Les premiers temps, elle ne veut plus « rien savoir », puis se résout à s’inscrire « sur l’internet ». Elle y rencontre un premier homme et retombe illico dans le schéma « vanille ». Pourquoi, au juste ? « Je ne sais pas. Je me suis bradée pour pas grand-chose », réalise-t-elle avec le recul. L’histoire dure un temps, puis elle rencontre un second homme en ligne, vers 50 ans. Elle ne cherche plus l’amour. « À 50 ans, oublie ça », déclare-t-elle. Elle vise surtout une certaine complicité, « un compagnon de vie », quoi. Sauf que ça ne suffit pas, réalise-t-elle trop tard, en constatant que le type en question ne l’attire pas. Fin de l’histoire.

Depuis ?

La shop est fermée !

Sylvie, fin soixantaine

Ce n’est pas tout à fait vrai. Tout le contraire, en fait, et étrangement malgré elle. Depuis, Sylvie a pris sa retraite, déménagé, et se sent enfin « à la bonne place ». Elle s’est en prime mise à voyager. D’où le constat : « Il faut que j’apprenne l’anglais ! » Pour ce faire, notre interlocutrice se tourne vers quelque chose d’accessible, sa littérature de prédilection : les romans de type Harlequin, en anglais cette fois. « Des romans dont j’ai eu honte toute ma vie, glisse-t-elle, parce que c’est nunuche… »

C’était il y a cinq ans. Surprise. Parce que voilà, et contre toute attente, ces romans ne sont plus exactement ce qu’ils étaient. Sylvie ne cherche pas a priori l’érotisme, entendons-nous. C’est vraiment le récit, les rencontres, les fresques humaines dans des univers variés (une grande famille ici, une équipe sportive là, « tout sauf fleur bleue ! ») qui l’attirent. Or depuis quelques années, « graduellement, c’est plus descriptif », constate-t-elle, amusée, citant au passage des titres assez explicites (Dirty Like Me, de Jaine Diamond, Puck Yes, de Lauren Blakely, ou encore Doctor Mystake de J. Saman). Et elle sait de quoi elle parle : elle en lit plusieurs par semaine (merci Kindle !).

« Avant, les personnages se rapprochaient, puis, la page suivante, on était le lendemain matin. » Plus maintenant, comprend-on. « C’est la littérature qui est rendue là ! C’est vraiment spécial ! »

Non seulement les descriptions sont plus graphiques mais en plus, elles s’inscrivent dans l’air du temps. « On parle de claques sur les fesses, de polyamour, c’est nouveau ! » Et, de toute évidence, Sylvie ne déteste pas. « Les descriptions, la montée de l’intimité entre deux personnes, résume-t-elle pudiquement, je le sens ! »

Ça réveille ma libido ! Il faut faire quelque chose avec ça !

Sylvie, fin soixantaine

Et c’est là que pour la toute première fois de sa vie, tout récemment donc, Sylvie s’est mise à se caresser. « Ç’a été une révélation ! Je ne me suis jamais masturbée ! »

Parfois, c’est ce qu’elle fait tous les jours. Puis elle peut passer près d’un mois sans se toucher, carrément sauter certains passages de lecture. « Si ça ne me tente pas ! » D’autres fois, par contre, elle s’en donne à cœur joie. Et elle ne le regrette pas. C’est d’ailleurs précisément pourquoi elle a voulu se raconter.

« Ce qui est magique dans cet éveil tardif à la “masturbation assistée”, conclut-elle, c’est que j’ai pu reconnecter avec mon corps sans même l’avoir cherché, en toute discrétion et sans la montagne d’insécurités qui aurait certainement parasité toute tentative de dénuder mon corps de 60 ans et plus pour la première fois à un amant. Bien sûr, rien ne remplace le véritable échange de plaisir avec un partenaire, convient-elle. Mais c’est quand même un assez bon deuxième choix ! Et je souhaite ça à toutes les femmes seules… » C’est dit !

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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