Les propriétaires de moto parlent souvent de leur monture comme si elle respirait carrément. Remaniée subtilement pour 2008, la Speed Triple de Triumph semble avoir la capacité de susciter cette relation jusqu'à la transformer en véritable partenariat de délinquance.

Le modèle le plus connu provenant des usines de Hinckley possède toutefois une double personnalité puisque, de son étrange pouvoir de corruption, la Speed Triple démontre aussi de merveilleuses manières en conduite (plus ou moins) normale. Tout dépend de l'humeur du pilote comme de sa capacité à résister à la tentation du vice routier.

En tant que modèle phare du constructeur anglais, cette dernière évolution de la Speed Triple se voit peaufinée plutôt que transformée en 2008. On ne change pas une formule à succès. La mécanique, un tricylindre en ligne aussi mélodieux par son chant qu'envoûtant par sa livrée de puissance, demeure l'âme du modèle.

Bénéficiant d'une injection raffinée depuis l'an dernier et fort de quelque 130 chevaux, il offre une expérience de conduite décidément hors du commun.

Dès les premiers moments aux commandes de la Speed Triple, son caractère unique devient d'ailleurs évident, et ce, tant pour les motocyclistes de longue date que pour les moins expérimentés. Fait étrange, toutefois, rares sont ceux qui descendent de l'Anglaise en arrivant à décrire de manière précise le pourquoi de cet envoûtement. L'explication réside en grande partie dans la manière avec laquelle le tricylindre délivre sa puissance.

La plupart des mécaniques, peu importe leur configuration ou leur cylindrée, n'ont qu'une partie de leur plage de régimes où elles s'éveillent et sont vraiment gratifiantes à solliciter. Sur la Speed Triple, cette plage s'étend de manière exceptionnelle du ralenti jusqu'à la zone rouge, ce qui se traduit par une capacité à bondir dès les premiers tours, par une aisance déconcertante à tourner haut et par un couple abondant à n'importe quel régime entre ces deux extrêmes.

Le fait que cette livrée très particulière soit accompagnée d'une mélodie tout à fait unique à Triumph ne fait qu'ajouter à la longue liste de points positifs de la mécanique. Celle-ci n'a en fait de défauts qu'une très légère tendance à vibrer à haut régime et une performance qui, bien que très satisfaisante, n'est pas nécessairement exceptionnelle. À quand une Speed Triple 1200?

Tenter le diable

Si le moteur se retrouve donc au coeur de l'agrément de conduite offert par la Speed Triple, le châssis, lui, contribue aussi grandement à rendre l'expérience plaisante. Légère, relativement mince et extrêmement maniable, l'Anglaise donne l'impression à son pilote qu'il peut accomplir n'importe quoi, surtout lorsqu'on ajoute des facteurs comme l'absence de carénage à l'avant, la position de conduite droite et le guidon large.

C'est d'ailleurs la combinaison de toutes ces caractéristiques exceptionnellement amicales et de la générosité du moteur en couple à bas régime qui est à la base de la réputation délinquante du modèle puisqu'elle met tellement le pilote en confiance qu'il se trouve inévitablement incité à tenter le diable. Rares sont les motos demandant moins d'effort pour se dresser sur leur roue arrière, et encore moins nombreuses sont celles qui semblent aussi naturelles dans une telle position.

Cela dit, la Speed Triple a d'autres «qualités» que celles de pousser son pilote à l'irresponsabilité. Amenez-la par exemple sur une route sinueuse et elle brillera par son accessibilité. Les modèles sportifs plus incisifs et plus efficaces en conduite rapide pullulent sur le marché, mais la Speed Triple offre une facilité de conduite qu'on ne retrouve tout simplement pas sur ceux-ci. La direction est très légère, tandis que la précision et la solidité du châssis sont sans reproches en courbe.

Lors du dévoilement du modèle, le printemps dernier, Triumph incluait à son itinéraire une section de route légendaire connue sous le nom de Tale of the Dragon, à Deal's Gap. Il s'agit d'une succession quasi ininterrompue de plus de 300 virages s'étalant sur à peine 18 kilomètres et qui chevauche la frontière du Tennessee et de la Caroline-du-Nord. Aux commandes de la Speed Triple, ce passage, qui aurait dû être un exercice de pilotage passablement exigeant, fut traversé presque trop facilement et trop rapidement. En ce qui sembla être un clin d'oeil, 318 courbes inconnues avaient été abordées non seulement sans le moindre tracas, mais aussi avec un stress presque nul et, surtout, avec un plaisir immense.

Si la Speed Triple réuni ainsi les caractéristiques nécessaires à pousser les pilotes les plus mûrs à l'indiscipline, en contraste, elle possède aussi toutes les qualités d'une monture agile et accessible à un grand éventail de motocyclistes. S'agirait-il de la seule moto du marché qui demande davantage de retenue que d'expérience de la part de son pilote?

Bertrand Gahel est l'auteur du Guide de la moto. Les frais de transport et d'hébergement de ce reportage ont été payés par Triumph.