Après un appel de deux coureurs, Cyclisme Canada a dû revoir sa copie et faire table rase de son comité chargé de composer l’équipe nationale pour les Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal (GPCQM), présentés les 8 et 10 septembre.

« Revue et corrigée » : voilà les épithètes qui qualifient la nouvelle formation canadienne. Dévoilée au début de juillet, la sélection initiale de sept coureurs a été largement modifiée à minuit moins une.

James Piccoli et Carson Miles, les auteurs de l’appel, estimaient entre autres qu’un des cinq membres du comité de sélection était en conflit d’intérêts à titre d’entraîneur de l’un des athlètes choisis.

Soumise au Centre de règlement des différends sportifs du Canada, leur contestation a fait l’objet d’une entente de règlement avec Cyclisme Canada sous l’autorité de l’arbitre-médiateur neutre attitré au cas.

Cyclisme Canada (CCC) s’est engagé à annuler sa sélection pour en constituer une nouvelle qui serait établie par un comité entièrement composé de nouveaux membres.

Le panel, dont les six participants ont été choisis par le comité de haute performance, devait refaire le processus selon la politique déjà publiée, mais avec des instructions supplémentaires.

Parmi celles-ci, l’âge ne devait pas être un facteur considéré pour distinguer les cyclistes qui étaient des choix discrétionnaires.

Tout membre du comité de haute performance ayant une « relation d’entraîneur ou financière » avec un candidat devait également le déclarer et se retirer de « toutes discussions et décisions de sélection ».

Cette dernière consigne répondait directement au principal grief de Piccoli, à savoir qu’Evan Russell est un protégé de l’entraîneur national Richard Wooles, membre du comité initial.

Au bout du compte, trois des partants choisis à l’origine, dont Evan Russell, ont été écartés au profit de trois nouveaux. Si on inclut les trois réservistes, c’est la moitié de l’équipe qui a changé d’identité.

Sauf nouvel appel d’ici le 3 septembre, les coureurs qui représenteront le Canada aux deux seules épreuves WorldTour disputées en Amérique seront les Québécois Pier-André Côté, Matisse Julien, Félix Hamel, Nicholas Rivard, Robin Plamondon et l’Albertain Quentin Cowan.

Le champion national Nickolas Zukowsky, de Sainte-Lucie-des-Laurentides, devait y être aussi, mais le virus d’Epstein-Barr, qui le ralentit depuis plusieurs mois, a-t-il récemment appris, l’en empêchera. Le vétéran ontarien Benjamin Perry a été contacté pour le remplacer.

Ironiquement, Piccoli et Miles n’ont donc pas réussi à se glisser dans le groupe des sept partants, mais ils font néanmoins partie des réservistes, ce qui n’était pas le cas avant leur appel.

Évidemment, j’aurais aimé être sélectionné, mais honnêtement, l’un des buts de l’appel était d’essayer d’améliorer les processus pour que ce soit plus juste pour tout le monde.

James Piccoli

Le Montréalais de 31 ans estimait être partiellement parvenu à ses fins en vertu de l’entente conclue le 24 août. L’ex-vainqueur du Tour de Beauce n’en est plus sûr. Il explique avoir signé le même type de document avec Cyclisme Canada avant les Jeux olympiques de Tokyo, pour lesquels il n’avait pas été choisi.

« Ils ont dit : “On va essayer de parler avec des coureurs pour améliorer [les choses], pour que ce soit juste et éviter les conflits d’intérêts.” À mon avis, ça n’a pas vraiment marché la dernière fois. Je n’ai aucune garantie que ça va marcher cette fois-ci. »

« Ça fait cinq, six, sept ans que je suis athlète avec Cyclisme Canada et rien n’a changé, a-t-il ajouté. C’est même pire qu’avant. Honnêtement, il y a aussi d’autres athlètes qui sont un peu fatigués [de la situation]. »

Quelques années plus tôt, Piccoli avait perdu deux processus d’appel internes pour des équipes pour le Tour de l’Alberta et les GPCQM. « Je pense vraiment qu’ils ne m’aiment pas ! Ils ne veulent juste pas que je fasse partie des sélections. »

La réponse

Kris Westwood, directeur de la haute performance (DHP) de CCC, rejette catégoriquement cette impression d’acharnement, arguant que les sélectionneurs impliqués dans les cas litigieux aux yeux de Piccoli n’étaient jamais les mêmes.

« Honnêtement, on n’a pas de préjugés contre James. Il faut toujours se poser la question : c’est quoi l’intérêt pour un sport de ne pas aligner les meilleurs coureurs pour une épreuve ? »

En ce qui concerne l’appel à proprement parler, Westwood, membre du premier comité, parle d’un « compromis entre les deux parties ».

« On avait le choix de faire une entente comme ça ou d’aller directement à l’arbitrage. Dans une entente comme ça, il n’y a pas de faute attribuée à quiconque. […] On trouvait que c’était mieux de négocier une solution que d’aller à l’arbitrage. »

Le DHP estime que le processus a été bien suivi, mais que le libellé de la politique aurait gagné à être raffiné. Pour CCC, les GPCQM sont un projet de « développement », un concept flou aux yeux de Piccoli.

« Ça tourne toujours autour de la définition exacte de certains mots, a plaidé Westwood. C’est là qu’il y avait peut-être quelques lacunes dans les critères de sélection. Je dirais que la décision de sélection était correcte, mais on a négligé d’inclure certains mots dans les critères. On a appris cette leçon pour l’an prochain. »

N’empêche, la moitié de la formation a été changée à l’issue de l’appel. Est-ce une déception ?

« Ce n’est pas une déception, a répondu le technicien. On veut toujours sélectionner et appliquer un processus de la meilleure façon possible et rendre des décisions équitables pour tout le monde. Mais j’imagine que c’est une grosse déception pour les athlètes qui ont été enlevés de l’équipe. »

Le Québécois Philippe Jacob, champion canadien espoir à 20 ans, a été l’un des trois cyclistes écartés. Hamel et Plamondon ont pour leur part reçu une invitation inattendue.

Éliminer les apparences de conflits d’intérêts

Aux yeux de Westwood, le nouveau comité a simplement interprété les critères de façon différente. « Même si on essaie d’écrire quelque chose qui est 100 % noir et blanc, il y a toujours de l’interprétation qui rentre là-dedans, surtout en vélo. »

Quant au conflit d’intérêts soulevé par les requérants, le DHP apporte cette précision : « Il y avait une perception de conflit, ça ne veut pas dire qu’il y avait un réel conflit d’intérêts. C’est en partie pour ça qu’on est entrés dans une entente. »

Dans celle-ci, CCC s’est engagé à ce qu’un entraîneur ayant une relation professionnelle avec un candidat se récuse à l’avenir. Westwood souligne que ce n’est pas toujours simple.

« La difficulté pour les fédérations qui font des sélections est de trouver un équilibre entre l’expertise et les conflits d’intérêts. Parce que tout le monde qui est expert dans un domaine dans le sport a des conflits d’intérêts. »

C’est normal, tout le monde a soit une relation commerciale, soit une relation d’entraîneur avec les athlètes sujets aux décisions. Il faut donc trouver une façon d’avoir de l’expertise, mais d’éliminer au maximum le potentiel d’un conflit d’intérêts.

Kris Westwood, directeur de la haute performance de Cyclisme Canada

Cette complexité est illustrée par le comité ad hoc réuni dans l’urgence par CCC. Il était formé des ex-coureuses sur route Kirsti Lay et Denise Ramsden, du chiropraticien et entraîneur Aroussen Laflamme, de la jeune professionnelle sur route Adèle Normand, de la physiothérapeute et gérante d’équipe de vélo de montagne Tara Lazarski et du commissaire à l’Union cycliste internationale Michael Pinkoski. Il a rendu sa décision le 25 août, au lendemain de la conclusion de l’entente.

« Je pense que ce n’étaient pas des personnes qui connaissaient beaucoup le cyclisme sur route, a affirmé Piccoli. Ce n’était qu’un panel de haute performance de Cyclisme Canada qui provenait de toutes les disciplines. »

Piccoli déplore également une interprétation erronée de l’un des critères originaux, soit « un top 5 (jour, étape ou classement général) d’une épreuve de l’UCI EuropeTour catégorie U23 ou supérieure » qui valait une sélection automatique à un cycliste né entre 2001 et 2004. Or deux athlètes ont atteint ce standard dans un contre-la-montre par équipes de 4 km dans une course par étapes.

« Évidemment, ce n’est pas le même type de course. Ils ont été sélectionnés automatiquement malgré le fait que l’effort, c’était deux minutes, alors que les Grands Prix cyclistes, c’est 5 heures 30 ! »

Résigné, Piccoli n’a pas l’intention de faire de nouveau appel. Au moment de l’entrevue, il était plutôt occupé à boucler ses bagages chez lui en Andorre, en vue d’une tournée d’un mois et demi en Chine pour y disputer quatre courses sous les couleurs de son équipe professionnelle.

Houle, Woods, Boivin et Gee y seront

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Hugo Houle

Hugo Houle, qui a eu ses passes d’armes avec la direction de Cyclisme Canada, dont la dernière il y a trois semaines aux Mondiaux de Glasgow, où il a déploré les conditions dans lesquelles l’équipe sur route était logée, n’était pas candidat à cette sélection puisqu’il est membre de la formation Israel-Premier Tech. Il sera donc de la partie pour les GPCQM, tout comme ses coéquipiers Michael Woods, Guillaume Boivin et Derek Gee. Au total, neuf cyclistes canadiens devraient prendre le départ à Québec et Montréal.