Il existe mille et une disparités entre les athlètes olympiques et paralympiques. Or, en devenant candidats à une prime à la performance juste et équitable, les médaillés paralympiques canadiens peuvent enfin souffler. Le mouvement semble se diriger dans la bonne direction.

Le Comité paralympique canadien, en collaboration avec son partenaire philanthropique, la Fondation paralympique du Canada, a annoncé mercredi la création d’un fonds initial de 8 millions de dollars. L’objectif étant de récompenser les médaillés paralympiques en fonction de la couleur de leurs médailles, et ce, à compter des Jeux de Paris, l’été prochain.

En d’autres mots, comme les médaillés olympiques, les athlètes ayant une limitation physique ou mentale pourront eux aussi recevoir une bourse de 20 000 $ pour une médaille d’or, de 15 000 $ pour une médaille d’argent et de 10 000 $ pour une médaille de bronze.

Ces primes à la performance étaient déjà en vigueur depuis les Jeux de Pékin en 2008 pour les médaillés olympiques canadiens.

Cette nouvelle, Benoît Huot l’attendait depuis des lunes. Le gagnant de 20 médailles paralympiques et nouveau président de Parasports Québec s’en est évidemment réjoui. Néanmoins, pour l’ancien paranageur, la reconnaissance et la mise en valeur des paralympiens importent davantage que la somme rattachée à ces médailles.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Benoît Huot, gagnant de 20 médailles paralympiques et nouveau président de Parasports Québec

Déjà, dans un dossier de La Presse publié en 2022 mettant en lumière cette injustice, Huot parlait « d’équité, d’inclusion et d’égalité ». Son discours n’a pas changé, malgré ce cadeau tombé du ciel.

Lisez notre dossier publié en 2022

« Il y a toujours eu des disparités, mais ça, c’était la plus grande, la plus injuste. Cette récompense, c’est plus qu’un chèque qui vient avec des médailles, c’est un symbole », a-t-il précisé au bout du fil, jeudi matin.

Aurélie Rivard, la paranageuse la plus prolifique de sa génération, est du même avis. « C’est moins l’argent en tant que tel que l’impact que ça a par rapport à notre reconnaissance. On veut une reconnaissance égale à celle des olympiens. Donc l’engagement financier, c’est l’étape numéro un », a lancé l’athlète de 27 ans, à quelques mois de ses quatrièmes Jeux.

Trop tard ?

Ces bourses ne seront toutefois pas rétroactives. Huot aurait touché 135 000 $ si le système de récompenses aux paralympiens avait été instauré parallèlement à celui destiné aux olympiens en 2008. Ce montant grimpe à 315 000 $ si on prend en considération l’ensemble de sa carrière.

Mais pour l’homme de 40 ans, ça ne sert rien de ressasser le passé. Le contexte et les mœurs étaient différents au début de sa carrière. « À ce titre, Maurice Richard aurait été millionnaire et Gordie Howe aurait eu un manoir à Detroit ! »

Il préfère regarder vers l’avant. Reste qu’il aurait vu la couleur de ces milliers de dollars s’il avait évolué dans un système complètement égalitaire. « Une athlète comme Aurélie [Rivard] va être chanceuse, parce qu’elle risque de bien faire cet été, mais elle a laissé beaucoup d’argent sur la table » (165 000 $ pour être exact).

La principale intéressée a commencé la compétition après la fameuse décision de 2008. Cette nouvelle initiative arrive donc un peu trop tard dans sa carrière.

Je suis une infime partie d’un mouvement beaucoup plus grand. Mieux vaut tard que jamais. J’avais fait la paix avec le fait que je n’allais jamais recevoir de prime.

Aurélie Rivard

Même son de cloche du côté de son ami et coéquipier Nicolas-Guy Turbide, double médaillé paralympique. « Je ne pensais pas que ça allait arriver pendant ma carrière active. Ça m’a pris un peu par surprise, surtout que ça allait être mis en place avant les Jeux de Paris. Je suis heureux pour les prochaines générations. On est rendu là. »

PHOTO EMILIO MORENATTI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le paranageur Nicolas-Guy Turbide aux Jeux paralympiques de Tokyo en 2021

Dans la même veine, Huot constate combien le mouvement a progressé depuis ses débuts dans la piscine. « Il faut célébrer ce moment historique pour le sport olympique canadien. Il faut célébrer les victoires, et c’en est une. C’est sûr que ça aurait été bien de la vivre plus tôt, mais retournons à il n’y a pas si longtemps. Ce n’est pas vrai qu’on était au même endroit en 2008 qu’aujourd’hui. […] C’est le jour et la nuit. »

Une lutte quotidienne

Aurélie Rivard a également raconté à La Presse à quel point le mot « privilège » avait été prononcé par les journalistes lors de la conférence de presse organisée mercredi.

Ce n’est pas un privilège, c’est la normalité. Aujourd’hui, ça n’a aucun sens qu’une femme soit moins payée qu’un homme. C’est la même chose. Nic [Turbide] et moi, on s’entraîne avec des olympiens, on a le même programme, on fait exactement le même genre de travail.

Aurélie Rivard

Et donc, même si cette nouvelle concernant les primes à la performance marque une progression nette dans la quête de reconnaissance et d’équité des athlètes paralympiques, le combat est loin d’être terminé.

« Pour moi, l’annonce d’hier, c’est juste normal, ça allait de soi. C’était rendu très difficile de justifier le fait qu’on ne soit pas payés en 2024. »

Le mouvement a donc grandement évolué et c’en est la preuve, souligne Benoît Huot. Il y a 20 ans, un entraîneur dont il préfère taire le nom lui avait dit, en paraphrasant, que leur lutte ne mènerait jamais à rien. Ce qui a été un moteur pour le nageur.

On fait notre place un pas à la fois. C’est le temps qui fait bien les choses, c’est juste que ça prend énormément d’investissement, ça prend les bonnes personnes autour des tables de discussion et des gens qui croient à notre mission.

Benoît Huot

Maintenant, les intervenants consultés espèrent voir ce programme faire des petits. Ultimement, ils ne se sont pas battus pour eux-mêmes, mais pour ceux qui suivront.

« Ça permettra à des athlètes de performer jusqu’au plus haut niveau, estime Nicolas-Guy Turbide, mais aussi à introduire de nouveaux athlètes qui n’auraient pas envisagé ça comme carrière. »

En fin de compte, cette prospérité est sans doute la plus belle récompense offerte à ces précurseurs ayant consacré leur carrière à normaliser le paralympisme. Au-delà des médailles, il est sans doute là, leur véritable héritage.