Il n’y a pas si longtemps, il était difficile, et parfois même dangereux, de voyager en Amérique du Nord si on avait la peau noire. En 1936, un facteur de New York, Victor Hugo Green, a voulu venir en aide à ses concitoyens en établissant une liste de pensions, d’hôtels, de restaurants et de stations-service qui accueillaient les Afro-Américains.

Le Green Book est devenu un véritable outil de liberté et de dignité pour les voyageurs noirs, qu’ils soient gens d’affaires, artistes ou touristes.

Cette histoire, beaucoup l’ont découverte avec le film américain Green Book, sorti en 2018.

Rapidement après la sortie du guide, Victor Hugo Green a ajouté de bonnes adresses au Canada, en premier lieu à Montréal.

« Montréal était la métropole canadienne, rappelle Greg Robinson, professeur d’histoire à l’UQAM. C’était un lieu qui attirait les Noirs américains, à la fois pour le plaisir et pour les affaires. »

La ville a également acquis un statut prestigieux auprès de la communauté noire lorsque l’équipe de baseball les Royaux de Montréal a accueilli Jackie Robinson pour la saison 1946.

« Le fait que Jackie Robinson était une vedette à Montréal a donné à cette ville une réputation d’accueil et de tolérance qui n’était pas toujours réelle, authentique, note M. Robinson. Parce qu’ici aussi, il y avait de la ségrégation. »

Dans les États du sud des États-Unis, depuis la fin du XIXsiècle jusqu’en 1965, des lois institutionnalisaient la ségrégation raciale. On les appelait les Jim Crow Laws, du nom d’un personnage caricaturé d’homme noir. Dans les États du Nord, la ségrégation était plus subtile, mais quand même présente.

« Montréal ne faisait pas exception, il faisait partie de la culture nord-américaine, raconte Dorothy Williams, historienne réputée spécialisée dans l’histoire des Noirs au Canada. Il n’y avait pas de Jim Crow Laws, mais les commerces pouvaient légalement faire de la discrimination en vertu d’une décision de la Cour suprême dans l’affaire Fred Christie. »

En 1936, le barman d’une taverne située au sous-sol du Forum de Montréal avait refusé de servir Fred Christie, un Montréalais noir. La Cour suprême avait alors statué qu’un commerce avait le droit de refuser de servir certains clients.

PHOTO FOURNIE PAR DOROTHY WILLIAMS

L’historienne Dorothy Williams est une spécialiste de l’histoire des Noirs à Montréal. Elle a notamment écrit des livres marquants à ce sujet.

Dans les annales de la justice, on trouve plusieurs cas de personnes qui ne pouvaient pas acheter de billets pour le cinéma ou, s’ils le pouvaient, se faisaient asseoir dans une section distincte. La ville n’était pas divisée uniquement par la langue, mais aussi par la race.

Dorothy Williams, historienne spécialiste de l’histoire des Noirs à Montréal

Les artistes noirs n’étaient pas épargnés. En 1936, la grande chanteuse Marian Anderson n’a pu loger au Château Frontenac alors qu’elle donnait un récital dans la salle de bal de cet hôtel. Elle a dû s’installer à côté, à l’hôtel Clarendon.

Or, une classe moyenne noire commençait à émerger en Amérique du Nord et beaucoup faisaient l’acquisition d’une automobile pour faciliter leurs déplacements et se soustraire à la discrimination dans les transports en commun. Ils faisaient toutefois face à des gestionnaires d’hôtel, de restaurant et de station-service qui refusaient de les servir.

  • Couverture de l’édition de 1940 du Negro Motorist Green Book

    PHOTO FOURNIE PAR LA NEW YORK PUBLIC LIBRARY

    Couverture de l’édition de 1940 du Negro Motorist Green Book

  • Dans les années 1950, le Negro Motorist Green Book devient le Negro Travelers’ Green Book pour refléter les différents moyens de transport.

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    Dans les années 1950, le Negro Motorist Green Book devient le Negro Travelers’ Green Book pour refléter les différents moyens de transport.

  • Dans les années 1960, on voit les grands hôtels apparaître dans le Green Book.

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    Dans les années 1960, on voit les grands hôtels apparaître dans le Green Book.

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C’est pour eux que Victor Hugo Green a lancé en 1936 The Negro Motorist Green Book, un guide annuel qui s’enrichissait de nouvelles adresses à chaque nouvelle édition.

Victor Hugo Green comptait notamment sur le réseau des facteurs des États-Unis pour signaler de bonnes adresses à ajouter dans l’édition suivante. Il pouvait également compter sur le réseau des porteurs de wagons-lits, essentiellement des Noirs, pour obtenir des recommandations additionnelles.

C’est vachement utile d’avoir un guide qui vous dit qui va vous accepter.

Greg Robinson, professeur d’histoire à l’UQAM

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Dans le Green Book, on trouve des publicités de stations Esso gérées par des Noirs.

Une grande entreprise, Esso, a réalisé l’importance de la clientèle noire et s’est montrée très accueillante. Dès 1934, Esso a engagé un Afro-Américain, James A. Jackson, pour explorer ce marché. Les stations-service d’Esso ont commencé à offrir le Green Book et, au début des années 1940, 312 des 830 détaillants Esso des États-Unis étaient afro-américains.

Les différentes éditions du Green Book marquent le progrès vers l’ouverture.

Greg Robinson, professeur d’histoire à l’UQAM

Dans les années 1960, on voit apparaître des adresses en Europe, en Amérique latine et en Afrique.

PHOTO FOURNIE PAR LA NEW YORK PUBLIC LIBRARY

Dans l’édition de 1956, Victor Hugo Green souligne le 20e anniversaire du Green Book.

En 1964, le Congrès américain a adopté le Civil Rights Act, qui interdisait toute discrimination sur la base de la race, de la couleur ou de la religion.

« Au fur et à mesure que l’ouverture devenait universelle, il n’y avait plus de besoin pour le Green Book », déclare Greg Robinson.

La dernière édition a été publiée en 1966.

La grande institution muséale américaine Smithsonian a créé une exposition itinérante sur le Green Book, commanditée notamment par ExxonMobil (Esso). On peut la voir à Los Angeles jusqu’au 10 mars. Elle se déplacera par la suite à Atlanta et à Cincinnati. Le Smithsonian offre également une exposition virtuelle.

Découvrez l’exposition virtuelle (en anglais)