Les actions collectives contre les congrégations religieuses et les diocèses pour indemniser des personnes victimes d’agressions sexuelles se sont multipliées ces dernières années au Québec. Pourquoi ? Quelles sont leurs chances de succès ?

Des milliers de personnes inscrites à des actions

À lui seul, le cabinet Arsenault Dufresne Wee Avocats mène une vingtaine d’actions collectives contre des congrégations religieuses et des diocèses pour indemniser des victimes d’agressions sexuelles. Quelque 2100 personnes au total sont inscrites à ces actions. En ajoutant les actions collectives d’autres cabinets, le nombre grimpe à une trentaine, selon MVirginie Dufresne-Lemire, associée dans ce cabinet de droit civil.

Un obstacle en moins pour les victimes

Grâce à l’abolition du délai de prescription, adoptée en juin 2020, il est désormais possible pour les victimes d’agression sexuelle, de violence conjugale ou de violence subie durant l’enfance de poursuivre devant le tribunal civil leurs agresseurs à tout moment au Québec. Ce délai de prescription était de trois ans jusqu’en 2013, année où le gouvernement de Pauline Marois a monté la barre à 30 ans. « C’est un obstacle de moins pour les victimes », souligne MLouise Langevin, professeure de droit à l’Université Laval. « Le Québec accusait un certain retard, explique l’experte. Ça fait longtemps qu’au Canada anglais, il n’y a plus de délai de prescription pour les actions civiles en même matière. »

L’impact du mouvement #moiaussi

Au-delà de ce changement législatif majeur, la professeure Louise Langevin explique qu’on a assisté à une « libération de la parole » des victimes à la suite du mouvement #moiaussi, car désormais « les victimes sont davantage crues ». Par ailleurs, « on comprend aujourd’hui les conséquences psychologiques très graves des agressions sexuelles, spécialement chez les enfants », ajoute l’experte. On sait désormais que les victimes peuvent mettre des décennies à dénoncer « parce qu’elles avaient honte, elles avaient peur et peut-être qu’elles ne faisaient pas le lien entre les agressions subies dans l’enfance et les problèmes qu’elles ont eus dans leur vie ».

Peu de règlements… pour l’instant

Une demi-douzaine de congrégations et deux diocèses sont parvenus à des règlements à l’amiable dans le cadre des actions collectives pour agressions sexuelles jusqu’à présent, totalisant une somme estimée à environ 200 millions. Des congrégations religieuses, mais pas toutes encore « malheureusement », précise la professeure de droit Louise Langevin, se sont « rendues à l’évidence que ça ne donne rien d’aller en cour et de faire durer les procédures, mieux vaut reconnaître les agressions et indemniser ». « Il y a des congrégations religieuses qui, très rapidement, ont démontré une ouverture et un intérêt à régler. Je salue cette attitude-là qui prend en compte l’impact [de telles procédures] sur les victimes », confirme pour sa part MDufresne-Lemire. Il y a toutefois des congrégations religieuses qui « prennent l’attitude contraire et qui vont dépenser je ne sais pas combien en frais d’avocats pour ne pas donner d’argent aux victimes », déplore l’avocate en droit civil.

Des batailles qui durent des années

Des congrégations toujours devant les tribunaux veulent inclure en garantie le gouvernement du Québec ou des CISSS et des CIUSSS ainsi que des centres de services scolaires, ce qui a pour effet de prolonger les procédures. « Certaines ont annoncé leur intention de plaider l’inconstitutionnalité de l’abolition de la prescription », indique MDufresne-Lemire ; autant de « batailles qui vont prendre des années ». « Nous trouvons dommage que les congrégations tentent d’attaquer cette évolution durement gagnée par les victimes », ajoute l’avocate.

Un effet d’entraînement

Professeure de droit à l’Université Laval, MLouise Langevin observe un effet d’entraînement positif : « Des victimes entendent d’autres victimes prendre la parole et porter plainte, ceci leur donne un modèle. Elles vont se dire : moi aussi, j’ai subi cela. Moi aussi, j’ai droit à une indemnisation. » Bien sûr, « l’argent ne redonne pas une jeunesse perdue », mais « aller devant le tribunal et expliquer au juge ce qu’on a vécu et entendre le juge dire : c’est inacceptable, c’est une faute, je vous crois dans la poursuite civile, ceci a un effet thérapeutique », poursuit-elle. Aujourd’hui, les juges font preuve de beaucoup d’empathie et de compassion vis-à-vis de ces victimes, note l’experte.

Actions collectives visant des congrégations religieuses et des diocèses au Québec

Vingt actions collectives sont menées par le cabinet Arsenault Dufresne Wee, dont 11 contre des congrégations religieuses et 9 contre des diocèses*

  • Congrégation de Sainte-Croix – en cours depuis 2013
  • Clercs de Saint-Viateur – réglée en 2022
  • Oblats de Marie-Immaculée – en cours depuis 2018
  • Diocèse de Montréal – réglée en 2023
  • Frères des Écoles chrétiennes – en cours depuis 2019
  • Diocèse de Saint-Jean-Longueuil – en cours depuis 2019
  • Diocèse de Joliette – en cours depuis 2019
  • Religieux de Saint-Vincent-de-Paul – en cours depuis 2019
  • Frères de Saint-Gabriel – réglée en 2023
  • Diocèse de Québec – en cours depuis 2020
  • Diocèse de Trois-Rivières – en cours depuis 2020
  • Frères de la Charité – en cours depuis 2021
  • Diocèse de Saint-Hyacinthe – en cours depuis 2021
  • Diocèse d’Amos – en cours depuis 2021
  • Pères Montfortains – en cours depuis 2022
  • Frères de l’instruction chrétienne – en cours depuis 2022
  • Diocèse de Sherbrooke – en cours depuis 2022
  • Ordre des Dominicains – en cours depuis 2022
  • Eudistes – en cours depuis 2023
  • Diocèse de Saint-Jérôme–Mont-Laurier – en cours depuis 2023

* En date du 12 février 2024 

Autres actions collectives contre des congrégations religieuses au Québec*

  • Frères de Sainte-Croix et Collège Notre-Dame de Montréal – réglée en 2011
  • Rédemptoristes et Collège Saint-Alphonse de Sainte-Anne-de-Beaupré – procès et règlement en 2014
  • Clercs de Saint-Viateur et Institut Raymond-Dewar – réglée en 2016
  • Frères du Sacré-Cœur – réglée en 2021
  • Ordre des Servites de Marie et Collège Notre-Dame des Servites d’Ayer’s Cliff – réglée en 2021
  • Diocèse de Chicoutimi et abbé Paul-André Harvey – réglée en 2022
  • Frères maristes (1re action) et Patro Lokal de Saint-Hyacinthe – réglée en 2023
  • Frères maristes (2action) – en cours depuis 2022
  • Sœurs de la Charité de Québec et Orphelinat Mont D’Youville – en cours depuis 2018
  • Sœurs grises et orphelinats à Montréal – en cours depuis 2020
  • Sœurs de la Providence et Institut des sourdes-muettes de Montréal – en cours depuis 2021

* En date du 12 février 2024