L’appel à éviter les urgences a été entendu par les Québécois. Mais à quel prix ? Certains d’entre eux, comme Gilles Malette, n’ont pas d’autres solutions que de se tourner vers le privé pour ne pas engorger le système de santé.

Souhaitant éviter les urgences, Gilles Malette a contacté le 811 la semaine dernière pour des symptômes grippaux graves. L’homme de 63 ans, qui réside actuellement à son chalet à Chertsey, dans Lanaudière, est asthmatique depuis la petite enfance et souffre aujourd’hui d’une maladie pulmonaire chronique.

« Malgré mes symptômes sévères, je connais mon corps et je savais que je n’étais pas sur le bord de mourir », raconte le sexagénaire, en précisant qu’il en était déjà à son troisième épisode de virus respiratoire depuis le mois d’octobre.

Je ne voulais pas aller à l’urgence, je voulais un rendez-vous.

Gilles Malette

La semaine dernière, lors d’une conférence de presse, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a demandé aux Québécois d’éviter les urgences si leur état n’exigeait pas des soins immédiats. Plus de la moitié des personnes se rendant aux urgences étaient alors classées aux niveaux de priorité 4 ou 5, soit ceux des cas les moins urgents.

Impossible en clinique

Suivant la recommandation du ministre, Gilles Malette a contacté le 811 afin de ne pas engorger le réseau de la santé inutilement. Le CISSS de Lanaudière l’a toutefois informé qu’il ne pouvait avoir un rendez-vous en clinique, puisqu’il se trouvait alors à l’extérieur de son territoire. L’agente administrative lui a plutôt conseillé de se rendre au privé ou aux urgences.

M. Malette a décliné la suggestion et demandé à être transféré au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, où se trouve sa résidence principale. Au bout du fil, l’agente administrative de Montréal lui a annoncé qu’il était en mesure d’obtenir un rendez-vous hors de son territoire, mais qu’il n’y en avait aucun de disponible dans les prochaines 24 heures.

Ultimement, malgré les demandes répétées de Gilles Malette, l’infirmière a refusé de lui offrir un rendez-vous au-delà des prochaines 24 heures et l’a dirigé vers les urgences de Lanaudière. « Je comprends sa responsabilité professionnelle. Si elle juge que j’ai besoin d’un rendez-vous dans les 24 heures, elle ne va pas m’en donner un dans les 48 heures. Mais je lui dis que je n’irai pas à l’urgence », relate-t-il.

Direction le privé

Gilles Malette a finalement contacté une clinique privée à Terrebonne, où il a obtenu une consultation de 15 minutes pour 135 $. Une infirmière praticienne spécialisée (IPS) lui a prescrit de la médication, ce qui lui a permis de prendre du mieux rapidement. « Je suis frustré d’avoir dû débourser cette somme pour mon service de santé. J’avais cette somme, mais combien ne l’avaient pas et se retrouvent à l’urgence présentement ? », déplore-t-il.

Le cas de Gilles Malette n’étonne pas le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le DGilbert Boucher.

C’est ce qu’on entend sur le terrain malheureusement. Les lignes 811 sont congestionnées. On a de la difficulté à avoir des rendez-vous. Les patients nous disent qu’ils n’ont pas d’autres portes vers lesquelles se tourner.

Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Des options doivent être offertes aux patients, estime le DBoucher. « On entend que des médecins de famille ont des plages de disponibles. C’est inacceptable étant donné la demande. » Québec dit pourtant vouloir miser notamment sur les médecins de famille afin de prendre en charge ces patients ne demandant pas de soins urgents.

Chaque jour, de 5000 à 7000 appels sont reçus au Guichet d’accès à la première ligne (GAP), qui est accessible par le 811. « Toutefois, la demande est plus forte en ce moment et nous devons bonifier les services », a indiqué à La Presse le cabinet du ministre de la Santé. Il précise que des cliniques d’hiver ont ouvert leurs portes récemment dans plusieurs régions du Québec et permettent à des patients d’avoir accès à des rendez-vous supplémentaires en téléphonant au 811.

Un impact clair

N’empêche, Gilles Malette n’est pas le seul à avoir entendu l’appel du ministre Christian Dubé, la semaine dernière. Le nombre de visites quotidiennes aux urgences a chuté depuis une semaine. De 10 000 par jour, il est passé à 8600 à la fin de la semaine.

« Les patients comprennent que c’est très congestionné et qu’on a beaucoup de patients à voir. Ils font un double effort pour ne pas venir à l’urgence et on l’apprécie énormément », dit le DBoucher. Beaucoup moins de personnes qu’à l’habitude se sont présentées aux urgences la fin de semaine dernière.

Cette baisse est principalement due à un net recul des visites ambulatoires (– 17 %), soit les personnes ne demandant pas de soins lourds. Le recul est moins important pour les gens qui doivent être hospitalisés (– 7 %).

Des urgences achalandées

Cette chute des visites aux urgences coïncide avec un ralentissement de la circulation des virus respiratoires. En effet, le taux de positivité tant à l’influenza, qu’à la COVID-19 ou au virus respiratoire syncytial (VRS) tend à diminuer après avoir atteint un sommet en décembre. Le DBoucher souligne toutefois que les virus respiratoires continuent de peser lourd sur le réseau de la santé.

Malgré la baisse du nombre de visites, le taux d’occupation des civières demeure élevé. Les urgences affichent toujours un taux d’occupation nettement plus élevé que la normale, à 132,6 %. On est encore bien loin de l’objectif de 85 % du ministère de la Santé et des Services sociaux.

La situation continue d’être particulièrement tendue dans le Grand Montréal, où les taux d’occupation dépassent 140 %. La région de Lanaudière se trouve toujours au sommet de ce triste palmarès, avec un taux d’occupation de 191 %.

Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse