La violence par armes à feu a augmenté à Montréal durant la pandémie. Des ados font partie des victimes de tireurs eux aussi adolescents. Fabrice Vil, fondateur de l’organisme d’intervention sociale Pour 3 points, a voulu comprendre pourquoi les jeunes passent aux armes et comment ils se les procurent. Son documentaire Ados et armés est glaçant et éclairant.

En une seule année, les chefs d’accusation portés contre des mineurs en lien avec la possession illégale d’armes à feu à Montréal ont augmenté de 70 %. De 164 en 2020, leur nombre est passé à 276 en 2021. Des évènements impliquant des jeunes armés ont eu lieu partout dans le Grand Montréal, de Laval à Longueuil en passant par Villeray, le Plateau et Mont-Royal.

Quels ados possèdent une arme ? Qui la leur vend ? Qu’est-ce qui incite ces jeunes, pour la plupart sans casier judiciaire jusque-là, précise un spécialiste, à faire un geste aussi radical que de se procurer un pistolet et parfois même à tirer sur une autre personne de leur âge ? Comment faire pour endiguer le phénomène ? C’est ce genre de questions que Fabrice Vil pose à différents intervenants dans Ados et armés.

IMAGE TIRÉE D’ADOS ET ARMÉS

Fabrice Vil, fondateur de Pour 3 points

Ce qu’il découvre au fil du documentaire est glaçant. On parle d’ados qui livrent du crack à 12 ans. D’enfants capables de reconnaître la différence entre le son d’un pétard et celui d’un coup de feu. De jeunes à qui on interdit de sortir une fois le soir tombé. D’ados qui racontent avoir mis la main sur leur première arme à feu à 13 ans, un âge où un garçon a à peine du poil au menton. Du sentiment de puissance qu’ils ressentent…

Surtout, Fabrice Vil lève le voile sur une chose dont personne ne parle vraiment : la peur généralisée dans laquelle vivent des ados et leur famille dans certains quartiers de Montréal.

Une peur qui incite certains jeunes à s’armer. Pour se protéger et protéger leur famille, menacée, disent-ils, en raison de leurs activités illicites ou d’autres motifs. Non, ces jeunes ne sont pas tous des anges. Or, précise le documentaire, ils ne tombent pas dans la criminalité sans raison.

Un regard global

Ados et armés adopte une approche directe, mais globale. Loin de verser dans le sensationnalisme, le film réalisé par Gabriel Lajournade se donne la peine de creuser les racines du mal, si on peut s’exprimer ainsi. Il montre des ados qui crèvent de faim, ici à Montréal, et qui choisissent de vendre de la drogue pour s’aider, quand ce n’est pas pour aider leur famille. Pour un jeune qui n’a rien, qui n’est pas bon à l’école, qui se sent inadéquat, le monde criminel peut être attirant et valorisant, précise aussi une intervenante.

L’avènement des réseaux sociaux nourrit aussi cette spirale infernale. Non seulement c’est un espace public où les menaces de mort sont proférées sans aucune gêne – même s’il s’agit d’une infraction criminelle –, mais aussi un lieu de provocation. Qui alimente une violence qui se concrétise parfois dans la rue. Sans que les principaux concernés ne comprennent vraiment comment et pourquoi, par moments.

IMAGE TIRÉE D’ADOS ET ARMÉS

Fabrice Vil rencontre des enfants et des ados dans Ados et armés.

Fabrice Vil, posé et précis à l’écran, rapporte une quantité de faits troublants. Comme la facilité avec laquelle les ados peuvent se procurer une arme sur l’internet. Comme le fait que les vendeurs (rarement inquiétés par la police) sont majoritairement blancs, alors que ceux qui achètent les armes et les utilisent ne le sont pas. Il interroge aussi les moyens mis en place pour contrer cette violence armée, l’accent potentiellement démesuré mis sur la répression aux dépens d’approches de prévention.

Ados et armés ne fait pas de quartiers, mais avec intelligence, et surtout sans vouloir stigmatiser davantage les milieux qu’il dépeint. Sans excuser qui que ce soit, mais sans condamner en bloc non plus. Ses artisans ont par ailleurs accompli l’exploit de récolter les témoignages de jeunes (dont certains sont interprétés à l’écran par des comédiens), qui racontent au « je » des vies que la majorité des citoyens du Grand Montréal ne soupçonnent même pas.

À Télé-Québec, le 18 octobre à 20 h, suivi par l’émission spéciale Ados et armés : la discussion animée par Marie-Louise Arsenault