Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche au chroniqueur et auteur Olivier Niquet.

À l’aube d’une nouvelle année, il convient généralement d’essayer d’en imaginer les contours. Or, ce que nous réserve 2024 m’intéresse assez peu. À court terme, j’espère tout au plus quelques modestes avancements : que le Canadien obtienne un bon choix au prochain repêchage, que Bernard Drainville nous offre une nouvelle chanson a cappella et que les gens s’en rendent compte plus vite lorsqu’ils bloquent le chemin dans les escaliers mécaniques. Ça ferait mon année. Ce n’est pas trop demander.

Mes attentes sont peu élevées parce que je ne cesse d’être déçu par ceux qui doivent esquisser notre avenir. Il me semble que nous ayons très peu de politiciens du futur. Nos dirigeants sont des gardiens du statu quo. Ils colmatent les systèmes déjà colmatés par d’autres avant eux. L’avenir qu’ils nous proposent s’étend jusqu’à la date des prochaines élections, alors pourquoi prendre le risque de brusquer les citoyens en osant quelque chose de nouveau qui aura des effets dans 25 ans ?

C’est parce que je suis déçu du présent que je me tourne régulièrement vers la science-fiction. Ma préférée est celle qui penche plus vers la science que la fiction. Celle qui imagine les modèles d’un futur possible pour nous faire réaliser comment tout pourrait mal tourner. Ou bien tourner.

Nos politiciens qui sont de grands lecteurs devraient de temps en temps s’intéresser à ce genre trop souvent boudé. Peut-être qu’à la lecture d’un scénario apocalyptique basé sur des informations scientifiques plausibles, ils pourraient se dire « sapristi, faut que je fasse quelque chose ». Ou à l’inverse, exposés à une utopie idyllique, ils pourraient se dire « crimepof, pourquoi pas » !

Dans une entrevue récente, Kim Stanley Robinson, un maître du genre, expliquait que la science-fiction sert entre autres à attirer l’attention du public sur des théories scientifiques méconnues : « Vous racontez une histoire pour en déjouer le cours en avertissant les gens à l’avance. » Ces avenirs probables sont faits de biosphères qui s’écroulent, de basculements vers l’obscurantisme, de fuite spatiale, de désinformation érigée en système, d’humains transgéniques, d’escalade nucléaire ou de totalitarisme patriarcal.

Non, ce n’est pas jojo, mais il est facile de comprendre que ce ne sont pas là des prophéties farfelues. Notre monde nous offre déjà les indices de ces destins appréhendés.

Le grand « reset » contre lequel nous ont mis en garde certaines personnes qui aiment un peu trop faire des liens n’est probablement pas un projet concerté des grands de ce monde pour repartir à zéro, comme dirait Joe Bocan. C’est plutôt notre aveuglement volontaire qui nous guide vers un retour à la case départ.

La liberté que devait nous offrir la démocratisation des moyens de produire de l’information a été harnachée par les géants des technologies pour nous livrer en pâture aux opportunistes de l’indignation. Pendant que nous sommes obnubilés par des vidéos de personnes qui nous donnent des frissons en chuchotant, des tutoriels de maquillage bio ou de recettes de cheeseburgers dans des pains à fajitas (je recommande), l’information perd de son attractivité. Tout est mis sur un pied d’égalité, et plusieurs en profitent.

Les forces conservatrices du monde entier ont le vent dans les voiles par les temps qui courent et ça n’augure rien de joli pour le futur. Pourtant, tout concourt pour que les conservateurs se battent pour « conserver » la planète et pour assurer la survie du système capitaliste. Si le monde s’écroule, le monde des affaires s’écroulera aussi.

La plupart sont des tenants de la pensée magique. Les cornucopiens nous assurent que la technologie triomphera des problèmes de l’humanité et qu’il ne sert à rien de trop s’en faire. Il ne faut pas confondre cornucopien et serpuarien, ce néologisme qui nous est bombardé en espérant nous inciter à recycler nos vieux appareils (je recycle les appareils, mais je me refuse à utiliser ce mot). Pas besoin de recycler, on n’a qu’à attendre l’invention de la machine à transformer le plastique en engrais pour les plantes…

Le mot tient son origine de la légende de la corne d’abondance. Pluton, le dieu romain de la richesse (une sorte d’Elon Musk avec une toge), avait en sa possession cette corne, pleine d’un buffet à volonté qui n’aurait rien à envier à la Casa Corfu. Les cornucopiens pensent que le génie humain est une ressource inépuisable. Pourtant, il ne faut pas avoir passé beaucoup de temps à lire des commentaires sur la page Facebook de La poche bleue pour avoir une si grande foi en l’humanité.

En réalité, la technologie risque de plutôt servir à nos dieux de la richesse actuels qui partiront dans leurs fusées phalliques construire un monde meilleur sur Mars, loin de celui qu’ils auront contribué à détruire après avoir maximisé leurs REER.

Certains romans de science-fiction imaginent un futur où l’hibernation permettrait de mettre une personne en dormance pendant des années pour la réveiller dans un monde meilleur où l’on aurait découvert un remède au cancer, où il n’y aurait plus de guerre et où les gens ne mettraient plus leurs bananes dans des sacs à l’épicerie. Ou à l’inverse, dans un monde devenu complètement idiot.

Malgré ces constats décourageants sur le présent, je suis un éternel optimiste (un imbécile heureux, diraient certains). J’aurais tendance à croire à l’option du monde meilleur. Dans les romans de science-fiction, ça va toujours mal avant d’aller mieux. Je ne sais pas de quoi sera faite 2024, mais si on pouvait perfectionner l’hibernation, je serais prêt à courir le risque de dormir jusqu’en 2100. J’ai confiance que le génie humain, dans son infinie grandeur, nous aura fait réaliser d’ici là que la pensée à long terme est la meilleure des façons de bâtir le futur.

Qui est Olivier Niquet ?

Olivier Niquet a une formation en urbanisme. Chroniqueur radio, que l’on peut notamment entendre à l’émission La journée (est encore jeune) sur ICI Première, il a publié plusieurs livres, dont Les rois du silence : ce qu’on peut apprendre des introvertis pour être un peu moins débiles et (peut-être) sauver le monde. Il est aussi conférencier, en plus d’alimenter les sites tourniquet.quebec et sportnographe.info.

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