L’année 2024 va se dérouler aux États-Unis – et ailleurs dans le monde – sous le signe de Donald Trump. Chassera-t-il Joe Biden de la Maison-Blanche ? Si oui, jusqu’à quel point faut-il s’inquiéter de ce qu’il fera subir à son pays… et à la planète ? Dialogue entre notre chroniqueur et la politologue Alexandre Couture Gagnon, professeure de l’Université du Texas Rio Grande Valley aux États-Unis.

Alexandre Sirois : Alex, as-tu une boule de cristal ? Si oui, c’est le moment de la dépoussiérer. L’élection la plus importante de 2024 se déroule dans ton pays d’adoption. Et ça débute officiellement ce lundi 15 janvier, avec les caucus de l’Iowa, première étape de la course au leadership du Parti républicain. Si Donald Trump est réélu, les répliques de ce séisme vont faire trembler le monde entier. L’Eurasia Group a récemment estimé que l’élection présidentielle de novembre représentait le risque le plus important pour l’avenir de la planète… devant le conflit israélo-palestinien et la guerre en Ukraine ! Je ne te demanderai pas si l’ancien président républicain va être réélu. À plus de dix mois du scrutin, personne n’est en mesure de le prédire. Je suis curieux de savoir, en revanche, jusqu’à quel point tu crois qu’il a des chances de chasser Joe Biden de la Maison-Blanche ? Pour ma part, si j’étais un stratège démocrate, je pense que j’aurais du mal à dormir ces jours-ci.

Alexandre Couture Gagnon : Les dix prochains mois seront effectivement longs. Les candidats ont le temps de tomber malades, les quatre procès criminels de Donald Trump peuvent prendre des allures de films hollywoodiens et les catastrophes risquent de chambouler les meilleures prévisions. Si rien de majeur ne survient, Donald Trump sera le candidat du Parti républicain à la présidentielle et affrontera Joe Biden. Les Ron DeSantis et Nikki Haley restent dans la course en espérant justement des primaires et caucus républicains hauts en rebondissements, empêchant Donald Trump de remporter la nomination républicaine. Je n’ose pas faire de prédiction sur les chances que Donald Trump redevienne président s’il affronte Joe Biden. La volonté populaire déterminera l’issue du scrutin, mais ça se jouera au niveau des États dont on ignore si les citoyens voteront démocrate ou républicain le 5 novembre 2024 : l’Arizona, le Nevada, la Géorgie et le Wisconsin.

PHOTO ANDREW HARNIK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Ron DeSantis et Nikki Haley restent pour l’instant dans la course à l’investiture républicaine, largement dominée par un certain Donald Trump.

Alexandre Sirois : Pour ce qui est de la course à la direction du Parti républicain, les jeux sont faits à moins d’un sérieux imprévu, tu as raison. Donald Trump exerce une domination sans partage au sein de son parti depuis 2016. C’est absolument ridicule : ses rivaux républicains les plus sérieux ne l’ont jamais vraiment critiqué lors de cette course. Je serais prêt à parier qu’ils convoitent presque tous, en secret, la vice-présidence d’une éventuelle administration Trump. Ce qui est terrible, c’est qu’ils contribuent chaque jour un peu plus à la normalisation d’un candidat qui se comporte de façon de moins en moins normale. Donald Trump s’est encore radicalisé. Tout indique que s’il est élu en 2024, il va prendre un virage autoritaire nettement plus marqué qu’en 2016. Le mot « dictateur » revient souvent, ces jours-ci…

Alexandre Couture Gagnon : Si Donald Trump revient à la Maison-Blanche, il aura plus d’expérience. Il saura comment mettre en œuvre ses idées sur l’immigration et, selon ce que rapporte le New York Times, ça donne froid dans le dos : fermeture de la frontière, expulsions massives, camps pour migrants en attente d’expulsion. Un deuxième mandat de Donald Trump lui donnera le temps de nommer encore plus de juges conservateurs. Il pourra remplacer les têtes dirigeantes des agences responsables des médicaments (notamment la Food and Drug Administration qui a allongé le nombre de semaines pendant lesquelles la mifépristone peut être utilisée pour un avortement) et des armes à feu. Il choisira un procureur général qui lui promettra que le département de la Justice enquêtera sur ses ennemis. Il nommera des ambassadeurs dont il sera certain de la loyauté. Il abandonnera l’Ukraine. Surtout, il fomentera tellement de crises que les Américains se diviseront encore davantage.

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Complexe d’appartements de Kyiv partiellement détruit par des missiles russes, le 2 janvier dernier. Si Donald Trump revient à la Maison-Blanche, il abandonnera l’Ukraine, estime la politologue Alexandre Couture Gagnon.

Alexandre Sirois : Ton pronostic sonne juste. C’est pourquoi, à mon sens, la décision des Américains lors du scrutin en novembre prochain va prendre la forme d’un choix entre le statu quo (Biden) et le chaos (Trump). Le bilan de Joe Biden à la Maison-Blanche est plutôt bon. Pourtant, rien n’y fait, sa popularité est anémique. Est-ce qu’il sera capable de renverser la vapeur au cours des prochains mois ? Ou, comme le démocrate Jimmy Carter en 1980, verra-t-il l’insatisfaction à son égard plomber ses chances de réélection ? Je m’accroche à l’idée qu’une majorité d’Américains dans une majorité d’États clés vont se rendre compte de la menace que représente un Donald Trump 2.0 pour la santé de leur démocratie. On peut compter sur Joe Biden pour le leur rappeler. Mais son rival républicain ose maintenant prétendre que ce sont les démocrates qui menacent la démocratie. Un mensonge, s’il est répété assez souvent, peut finir par ressembler à la vérité.

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Le président américain Joe Biden à sa sortie d’Air Force One

Alexandre Couture Gagnon : La vie est difficile aux États-Unis malgré l’élection de Joe Biden. Le taux de chômage est bas, mais les salaires les plus faibles ne suivent quand même pas l’inflation. Les Américains sont inquiets pour leur pouvoir d’achat et frustrés par l’absence de solutions politiques. Après les enjeux économiques, le principal problème du pays selon les Américains est l’immigration. Depuis décembre, quelque 10 000 personnes entrent quotidiennement au pays hors des postes-frontière. Les maires démocrates de Chicago, Denver et New York répètent publiquement que leurs villes sont à bout de souffle en raison de l’afflux d’immigrants. Je m’attends à ce que ces deux dossiers, terre à terre, soient décisifs pour les électeurs le 5 novembre 2024. Si ces problèmes restent en haut de l’ordre du jour politique, ils porteront ombrage à Joe Biden aux élections générales.

Alexandre Sirois et Alexandre Couture Gagnon ont rédigé ensemble le livre Le délire de l’empire américain, paru aux Éditions La Presse.

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