En 1984, quand Brian Mulroney a contacté différents candidats québécois pour les élections fédérales, l’esprit du référendum flottait encore dans l’âme des Québécois. J’avais participé à la campagne du Oui, mais les résultats m’avaient convaincu de revenir en pensée et en action à la direction de mon collège.

Lorsqu’on m’a proposé la candidature dans Roberval, j’ai demandé de rencontrer Brian Mulroney. Il en fut ainsi en mars 1984 à Laval. Le futur premier ministre m’a simplement dit : « Il est fondamental pour l’avenir du Canada que le Québec en fasse partie volontairement et dans toute son entité. »

Il y avait là ce que j’ai retrouvé dans mes neuf années comme membre de son parti et de son gouvernement : un profond désir de réconciliation basée sur une volonté commune de faire une place au Québec, digne de son identité et de sa différence, et surtout dans le respect de cette différence.

Brian Mulroney aimait le Canada, mais ses racines profondes ont toujours été québécoises. C’est pourquoi je l’ai accompagné pendant toutes ces années. Ce fut pour moi la principale raison d’appuyer celui qui allait devenir un maître, un mentor et finalement un ami dans cette grande aventure.

Au premier caucus national, il fallait voir sa fierté devant les 211 élus et, surtout, les 58 Québécois qui composaient son équipe. Parmi ces élus québécois, deux seuls, Roch La Salle et Marcel Masse, avaient une expérience politique.

Le caucus du Québec était celui qui comptait le plus de députés. Ce fut une immense surprise pour les collègues des autres provinces. Ce ne sera pas la première fois que le caractère distinct du Québec embarrassera mes collègues anglophones.

Brian Mulroney m’a appris à devenir un député, mais surtout un ministre. Je n’avais alors aucune expérience. En me nommant ministre d’État aux Transports, il m’a donné un tuteur, son meilleur ministre Don Mazankowski, et le temps de vivre les turbulences d’un ministre canadien à Ottawa. Puis, les ministères en titre se sont succédé. Brian m’a toujours fait comprendre qu’en allant dans un nouveau ministère, je servais les intérêts du gouvernement et du pays.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît Bouchard en 1987

À partir de 1990, après le départ de Lucien Bouchard (quand après avoir accepté, à 11 h du soir, sa demande pour assumer la responsabilité de la députation québécoise), j’ai été présent à toutes les étapes de la saga constitutionnelle. Je l’ai accompagné dans les moments difficiles, en particulier lors du départ de Lucien.

J’ai compris alors qu’un premier ministre, lorsqu’il s’élève au niveau d’un chef d’État, est capable de dominer les évènements plutôt que d’en dépendre.

Il devient alors une institution nationale au même titre que le Parlement et la Cour suprême. Il fallait donc l’appuyer sans imposer mes propres conditions. La fonction de premier ministre prenait alors, à mes yeux, une nouvelle dimension. Brian Mulroney, qui incarnait ce rôle, devenait ainsi le représentant le plus vulnérable, mais aussi le plus crédible des causes dans lesquelles nous étions tous impliqués.

Quand il m’a demandé, en janvier 1993, à sa résidence du 24 Sussex, mon opinion sur la pertinence de rester chef du Parti progressiste-conservateur, je lui ai indiqué qu’il devait s’en aller. Il avait accompli ce à quoi il s’était engagé. Les élections suivantes ont prouvé que d’autres conseillers et moi avions raison de lui faire cette recommandation.

En terminant, alors que j’étais ambassadeur en France, j’ai reçu un appel de Brian qui me demandait de contacter le bureau du président Mitterrand parce qu’il désirait rencontrer « François ». Pour les proches du président, Mulroney était le seul à utiliser le prénom de François Mitterrand. Celui-ci, très malade, souffrait alors d’un cancer auquel il a succombé quelques mois plus tard, en janvier 1996. À 16 h, je recevais un appel du chef de cabinet, Anne Lauvergeon, m’indiquant que le président voulait rencontrer « son ami Brian ». La rencontre avec l’ex-premier ministre et Mila a duré trois heures.

Aujourd’hui, quand mes souvenirs prennent le dessus, ma vie politique se confond avec la grandeur de cet homme.

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