Nos dirigeants politiques devraient condamner passionnément tout geste ou discours raciste, tout ce qui tend à cliver, alors qu’il faut dialoguer. Mais on sent parfois cette volonté bien mollassonne, et nous risquons de payer pour ça.

Vous seriez surpris : Québec, la ville, la blanche, la française, se métisse. Lentement, mais inéluctablement.

Juste avant l’été, j’ai répondu à une invitation pour rencontrer 200-300 élèves de l’école secondaire De Rochebelle, située dans le secteur Sainte-Foy, établissement fréquenté par des élèves représentant, directement ou par filiation, 69 nationalités.

Les Caucasiens partageant mes racines étaient une minorité, visible.

Québec vit aussi sur la planète Terre, et prend de la couleur.

Une planète où les déplacements de populations sont énormes, causés par la violence et la misère. Où les humains et leurs familles fuient et tentent de gagner un lieu sûr, de survivre. Et ce n’est pas fini. Dans les mêmes conditions, nous ferions la même chose.

Je sais les Québécois assez généreux pour entendre ces humains qui cherchent refuge et bonheur.

Toutefois, accepter l’immigration est une chose, mais l’intégrer émotivement est un autre pas moins facile à franchir, chez nous comme ailleurs.

C’est pourquoi il faudra bien un jour liquider les sous-entendus et l’opportunisme politique et ouvrir une grande discussion, pas seulement montréalaise, mais avec toutes les parties francophones du territoire.

Les temps changent

Pour y arriver, il nous faudra accepter l’évidence, je dirais avec un certain courage, que les temps changent et que nous vivrons dans un Québec beaucoup plus bigarré culturellement.

Cette rencontre à De Rochebelle a été un plaisir. On a discuté, et beaucoup rigolé.

À la fin, un jeune, fils d’immigrant que je connais, est venu me voir à l’écart. Il fait partie des victimes collatérales de la tuerie de la mosquée de Québec. Il s’est mis à pleurer, je l’ai serré dans mes bras. Il n’a pas émis un son, mais je comprenais son mal.

La genèse de son tourment a pour fondement sa différence, et il en souffre.

Je me considère comme nationaliste, bien que modéré, défenseur de la culture française, j’ai voté Oui aux deux référendums sur la souveraineté et je suis toujours en faveur de la « loi 21 ».

Comme je sais que nous devons gérer notre immigration de façon responsable et ordonnée. Encore faudrait-il avoir une vision et un plan à long terme.

Bref, je suis la caricature statistique de la queue du baby-boom québécois (je suis né en 1956).

Et pour rempiler, la personne politique dans laquelle je me suis le plus retrouvé idéologiquement est René Lévesque. Je m’ennuie toujours du bonhomme, de sa lucidité et de son humanisme.

J’avais compris de monsieur Lévesque, au référendum de 1980, que nous devions voter Oui pour nous-mêmes. Qu’il s’agissait pour les Québécois de décider de leur émancipation politique et culturelle.

Bien sûr, tout cela découlait d’un historique de frustrations à l’égard de la majorité anglo-saxonne, mais René Lévesque ne nous a jamais dit de le faire contre les Anglos ou contre les immigrants.

Corrigez-moi si je me trompe.

Cliver ? Non, merci.

J’ai beaucoup repensé à cette rencontre à De Rochebelle.

Je me suis également souvenu du discours détestable et raciste de celui qui était ministre sortant de l’Immigration lors de la dernière campagne électorale québécoise, en 2022, lorsqu’il a pratiquement traité les immigrants de fainéants. J’ai eu honte, de nouveau.

Et ne vous méprenez pas, cela a fait mal à beaucoup de monde.

Tout ça alors que les indicateurs pointaient solidement vers une victoire de la CAQ. Crampe au cerveau ? Déclaration préméditée pour aller chercher une plus grosse majorité ? Au choix.

On appelle ça cliver ! Gravement !

Faible et crétin de fesser sur une minorité. Au surplus, de la part d’une génération qui a pu souffrir des mêmes insultes venant du Canada anglais.

Si j’étais fils d’immigrants, et qu’on insultait mes parents de cette façon, comment est-ce que je réagirais ?

Je vous annonce que ça irait mal !

Que je serais profondément blessé et révolté. Que j’en voudrais au monde entier qu’on en rajoute à mon inconfort, à ma distinction. Surtout pour avoir compris combien quitter son pays et émigrer peut être un parcours extrêmement douloureux.

Je me collerais sur ma gang, fils et filles d’immigrants, pour partager avec eux la rage que j’aurais au fond de l’estomac.

Le communautarisme débute souvent ainsi. Le repli d’une communauté différente naît de cette façon. De la dissociation, de l’incompréhension de la majorité, ou des autorités, envers qui vous êtes.

On n’en est absolument pas là, évidemment, mais voyez la France.

Et c’est quand on est jeune, quand on en a gros sur le cœur, qu’on peut devenir sensible aux discours de cinglés qui savent peser sur les bons boutons pour vous embrigader.

Ouvrir le dialogue

Sommes-nous en train de créer, par notre comportement politique, une génération d’enfants d’immigrants qui ne croira plus à l’État québécois comme protecteur de leurs droits ? Et sachez que cette génération vieillit et augmente considérablement en nombre.

Je ne suis pas naïf et je ne fais pas dans l’angélisme, comme je ne détiens pas la solution. Mais je sais qu’on ne peut plus continuer comme ça. Emmagasiner des votes en tablant sur la xénophobie et, plus, en mettant dans la balance la cohésion sociale future n’a pas de maudit bon sens !

Au contraire, il faut faire des gestes probants pour rassembler, réparer et créer des prétextes au dialogue.

Évidemment pas avec n’importe qui, et sûrement pas avec les religieux de certaines communautés qui poussent trop loin le bouchon avec leurs demandes irrespectueuses de nos choix historiques sur la laïcité.

Et cela au détriment de leurs propres coreligionnaires, souvent majoritairement non pratiquants ou à la foi discrète, qui vivent ici justement parce que leurs parents, ou eux-mêmes, ont choisi de fuir le sectarisme.

Nos dirigeants doivent ouvrir des canaux de communication avec des interlocuteurs qui comprennent nos aspirations, notre passé et notre insécurité culturelle.

Ils doivent apaiser, convaincre du Québec inclusif que nous souhaitons, mais jamais aux dépens de notre culture, que nous ne renoncerons pas à défendre à tout crin, tout en nous obligeant à respecter celle des autres.

Parce que comme quelqu’un l’a déjà énoncé : la culture est ce qu’il y a de plus constitutif d’un être humain.

Si nous ne faisons pas cela, et vite, nous créerons un Québec de confrontations, intolérant de tous côtés, un Québec délétère et toxique qui ne nous ressemble pas.

Entre nous

À la lumière de ce qui s’y passe actuellement, j’ai cherché à aller plus loin pour comprendre Israël.

À lire, pour les férus : The Land of Hope and Fear – Israel’s Battle for Its Inner Soul, d’Isabel Kershner.

Juste une mention pour rappeler les défis qui attendent ce pays : en 2065, les juifs ultra-orthodoxes, additionnés aux Arabes citoyens et résidents d’Israël, dont ceux qui habitent Jérusalem-Est, constitueront plus de 50 % de la population de ce pays. Sans parler des quelques millions de personnes qui habitent déjà la bande de Gaza et la Cisjordanie. Ça pourrait se compliquer socialement et politiquement chemin faisant, et le Likoud collera peut-être au pouvoir pour longtemps…

Aussi, la télésérie Fauda. Même si elle fait la part belle aux Israéliens, absolument passionnante !

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue