C’est la fin de l’été. La lumière est déjà plus rasante. Les affaires reprennent leur cours. La politique redevient politicienne, les opinions se campent. Et il y a de la matière. Le monde est en feu, littéralement. Les réseaux sociaux hostiles, la planète à broil. Des opinions d’acier trempé se heurtent, font des flammèches. À peine septembre et le volume est déjà dans le tapis…

Pendant ce temps, La Presse passe d’une section Débats à une section Dialogue. D’un band de métal à une sonate au clavecin, estimeront les méchantes langues.

J’ai toujours milité pour plus de débats dans les médias, animé des émissions de télé faisant large place à ce genre, d’Il va y avoir du sport à BazzoTV. Comme productrice, j’en ai proposé un certain nombre. Beaucoup affirment que nous ne savons pas débattre au Québec, que notre société est trop consensuelle pour embrasser les codes du débat, qu’on a peur de la légendaire chicane. Lorsque nous voyons les arguments voler, nous anticipons la dispute. Alors qu’un débat civilisé a justement recours à la verve, la vigueur, les esquives, les attaques argumentées. La vie des idées s’en trouve récompensée.

Mais je dois faire amende honorable. Moi qui aimais passionnément le débat, sa sève, je constate que depuis quelque temps, dans notre société de plus en plus clivée – où sévissent sectarisme, réseaux sociaux décomplexés, radicalisme –, le débat médiatique actuel dessert souvent la raison. Les temps sont délétères. La désinformation, la défiance envers les médias et les élites sont telles que les formes les plus véhémentes du débat sont peut-être contre-productives pour le bien de la société.

Je persiste, peut-être naïvement, à croire qu’il faut entendre toutes les voix, toutes les opinions, que si on en musèle certaines, même les plus déplaisantes, on se magasine un enrayage démocratique, une panne de légitimité. La réalité n’est plus partagée. Dans ce contexte, le débat devient un combat acerbe des récits. Il y a peut-être d’autres manières de prendre acte de nos points de vue opposés que de se gueuler dessus ou de se mépriser mutuellement.

Comme productrice télé, je réfléchis et travaille ces temps-ci à des émissions qui parlent de sujets d’actualité, parfois même clivants. Mais j’évite le ton véhément de l’affrontement. Je préfère la discussion, l’explication, le dialogue. L’idée est de construire des ponts, même chambranlants, plutôt que de creuser davantage de fossés idéologiques à la pépine.

Je me prends à rêver d’un « débat » apaisé, argumenté, nourri par des données, des faits de la connaissance. Animé mais poli, teinté d’humanisme. Nous sommes, au Québec, une petite société, peu populeuse. Il faut inviter le plus de monde possible à la table, respecter des règles tacites. On jase, on argumente, on recule, on avance. On respire par le nez, on continue. En fait, mon débat idéal, en ces temps clivés et dans cette société magannée, devrait être une vaste DISCUSSION.

On y parlerait de sujets qui dérangent, des enjeux brûlants, mais en évitant de grimper dans les rideaux, en fuyant le prêt-à-penser, les formules toutes faites et la langue de bois. Un genre de safe space, mais en moins mielleux. L’art de la discussion n’est cependant pas la voie de la facilité.

Que faire, par exemple, quand des pans entiers de la population croient que les incendies de Maui ont été allumés par des satellites équipés de lasers, pour chasser les habitants de Lahaina au profit des riches ? On les ignore, on en rit et on parle en silo, isolés dans notre entre-soi ? Avoir raison ou hurler ses arguments dans une chambre d’écho n’est ni du courage ni du débat. La démocratie perd du terrain quand on ne fait pas face aux questions qui choquent. Enfouir les problèmes sous le tapis collectif n’est pas un geste démocratique.

Alors, on fait quoi ?

On apporte patiemment des arguments aux moins sectaires ? On fait de la vérification des faits sur un ton condescendant ? On tente en amont d’éduquer au débat et à la discussion comme le fera le Québec à l’année scolaire 2024-2025 avec un nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise ? Dans ce contexte de polarisation des idées, on apprendra aux élèves à argumenter dans le respect, on les préparera au plein exercice de leur citoyenneté. La fibre de l’argumentation raisonnée s’apprend, s’acquiert. Que le débat cesse d’être ce combat des récits.

Dans le Québec actuel, les obstacles à un dialogue apaisé sont légion : désinformation, mensonge, méfiance envers les institutions et les élites, intimidation, rectitude politique, dérive sectaire. Il nous faut pourtant un terrain commun où trouver la possibilité de faire société. Parler avec le plus grand nombre possible de gens las du feu, des foudres, des chapelles.

Et ça commencera probablement en dehors des médias, en personne, entre nous, cette grande discussion.