Quand on est devant un appareil photo, on a le réflexe de sourire. C’est ce que fait spontanément Alain Bourque quand le photographe de La Presse lui tire le portrait, avant même le début de notre entrevue.

Mais rapidement, ce spécialiste de l’adaptation aux changements climatiques se ravise. « J’ai fait Patrice Roy hier et je me trouvais trop souriant », explique-t-il.

Ce n’est pas un caprice. C’est une question d’adéquation entre l’image qu’il projette en public et les sujets qu’il aborde.

Alain Bourque, directeur général d’Ouranos – le consortium québécois sur l’adaptation aux changements climatiques –, est un homme affable. Jovial, même. Mais… la planète brûle.

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Alain Bourque, directeur général d’Ouranos, le consortium québécois sur l’adaptation aux changements climatiques

« Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la hausse des températures mondiales est déjà de 1,1-1,2 ˚C, et c’est à peu près le double pour le Québec », rappelle-t-il.

« Et cette année, je pense que ça va créer un choc, on va probablement être plus autour d’un changement de 1,5 ˚C. » En raison de l’impact – temporaire – du phénomène El Niño qui s’ajoute à celui des changements climatiques, explique-t-il.

Disons-le : il faudrait avoir été enfermé dans un sous-sol sans fenêtre, au cours de l’été, pour ne pas avoir vu les évènements météorologiques extrêmes se succéder (et se chevaucher). Ici comme ailleurs.

C’est une des raisons pour lesquelles je souhaitais le rencontrer, d’ailleurs. Alors que se déroule à New York un sommet sur l’ambition climatique sous l’égide de l’ONU, je me demandais si l’été qu’on vient de vivre pourrait représenter un tournant dans l’opinion publique sur la question du climat.

Je voulais aussi faire le point quant à nos efforts en matière d’adaptation – c’est un secret de Polichinelle, ils sont encore trop lents.

« On semble enfin passer de l’étape de la sensibilisation au fait qu’il y a des changements climatiques à l’étape du “qu’est-ce qu’on fait” », me dit-il.

Bonne nouvelle, donc.

C’est pourquoi, s’il admet être « inquiet », il se dit aussi « optimiste ».

« Parce que ça va dans la bonne direction. Il semble y avoir un éveil généralisé. »

Cet éveil est-il le résultat des récentes catastrophes naturelles ? Pas seulement, estime l’expert, qui travaille pour Ouranos depuis les tout débuts de ce consortium, au début des années 2000.

Il rappelle qu’à l’époque, il s’est mis à y avoir des incendies de forêt à répétition en Colombie-Britannique. Il explique aussi qu’au Québec, les inondations successives de 2017 et 2019 « ont vraiment eu une grosse influence », particulièrement dans le monde municipal.

Ce qui lui fait dire que l’éveil s’est fait graduellement.

En raison de « la fréquence, de l’intensité, de la durée et de l’accumulation de ces évènements », parallèlement aux avancées de la science.

On doit donc continuer à accélérer la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et atteindre la carboneutralité, c’est fondamental. Mais il est aussi crucial, désormais, de s’adapter.

D’une part, il est rassurant de discuter avec Alain Bourque. De la même façon qu’il est apaisant de savoir qu’une équipe médicale s’occupe de vous ou de vos proches en cas de maladie. Ou que des pompiers sont dépêchés sur les lieux d’un incendie.

Ce gars et son équipe (d’une cinquantaine de personnes) possèdent des plans détaillés pour aider notre société à s’adapter aux changements climatiques – notamment au moyen de près de 400 projets de recherche. Un guide de survie, en quelque sorte.

Mais d’autre part, il est choquant de l’entendre dire qu’on a encore beaucoup trop de retard. « J’ai toujours trouvé que les politiques publiques étaient à peu près systématiquement 15 à 20 ans en arrière », dit-il.

Il fait comprendre que ce retard n’est pas quelque chose de théorique. Il a un impact réel et mesurable.

Je lui demande d’offrir des exemples concrets où nous n’avons pas bougé assez vite ni assez vigoureusement. Il cite notamment le verdissement des villes, la protection des milieux humides et la construction d’infrastructures plus résilientes aux risques climatiques.

« On vient de passer un 15 ans d’investissements majeurs en infrastructures et la vaste majorité n’ont pas intégré les changements climatiques dans leur conception », déplore-t-il.

« Si on avait fait ça en infrastructures, on aurait aujourd’hui beaucoup moins de refoulements d’égout et d’inondations, etc. », poursuit l’expert.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Une roulotte entourée d’eau à la suite des inondations de la rivière Richelieu, à Lacolle, en mai 2011

Et d’ajouter : « Si on avait verdi les villes, on aurait beaucoup moins de dégradation de la biodiversité et si on avait construit des projets d’habitation ou des édifices mieux adaptés à un climat plus chaud, quand il y a des canicules, on aurait moins de taux de mortalité, moins de gens incommodés, moins de concentration de populations vulnérables dans des quartiers comme Hochelaga-Maisonneuve ou Parc-Extension – qui sont durement frappés quand il y a des canicules. »

Oh, et les primes d’assurance auraient « probablement » moins grimpé au cours des dernières années, aussi ! Mieux vaut prévenir que guérir. Et le fait est que ça coûte pas mal moins cher.

Le portrait n’est pas entièrement sombre. En Amérique du Nord, le Québec est en avance sur bon nombre d’États, explique Alain Bourque.

Même que pour certains enjeux, comme celui des inondations, il y a eu des progrès notables ces dernières années. Que ce soit sur le plan de la cartographie des zones inondables ou sur celui de la réglementation.

Il reste encore du travail à faire, mais on a pris nettement plus d’avance que dans le domaine de la forêt, pour ne citer qu’un autre exemple. Il y a longtemps que nous aurions pu revoir nos pratiques d’aménagement forestier. Aujourd’hui, après des incendies dévastateurs, le forestier en chef du Québec se voit forcé d’exhorter le gouvernement à agir. Bougerons-nous assez vite ?

Il est probable qu’on discute de ces enjeux, comme bien d’autres, du 2 au 6 octobre lors de l’évènement international Adaptation Futures. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une conférence sur l’adaptation aux changements climatiques. Elle aura lieu à Montréal.

« On est vu comme une organisation assez leader dans le monde, en matière d’adaptation aux changements climatiques, souligne Alain Bourque au sujet d’Ouranos. On a la capacité d’organiser un évènement international. »

Ça nous rappelle à quel point ce consortium, mis sur pied par Québec dans la foulée des inondations au Saguenay et de la crise du verglas, est crédible, réputé et utile.

On a mis Ouranos au monde, on devrait peut-être l’écouter.

Qui est Alain Bourque ?

Alain Bourque était pratiquement prédestiné à devenir directeur général d’Ouranos. Après avoir fait des études universitaires de premier cycle en météorologie à l’Université McGill, il a obtenu sa maîtrise en sciences de l’atmosphère à l’Université du Québec à Montréal. Par la suite, à Environnement Canada, il a travaillé sur des analyses météorologiques des inondations du Saguenay… avant de s’occuper du dossier de la tempête du verglas à la fin des années 1990. On retrouve sous sa direction, chez Ouranos, une cinquantaine de personnes expertes de l’adaptation aux changements climatiques.

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