Justin Trudeau est-il sur ses derniers milles ?

Le gouvernement Trudeau est-il condamné à brève échéance ?

Le Parti conservateur remportera-t-il le prochain scrutin ?

Ces questions sont sur toutes les lèvres. Même sur celles, semble-t-il, des députés du Parti libéral à Ottawa.

C’est un peu normal.

Quand on se trouve dans un avion qui pique du nez, on s’inquiète. On n’applaudit pas le pilote avec enthousiasme.

Comment interpréter cette nouvelle donne politique ? Je me disais qu’un expert aguerri comme Donald Savoie aurait un avis éclairé sur la question.

Ce politologue de 76 ans est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en administration publique et gouvernance à l’Université de Moncton. Il suit la politique canadienne depuis quatre décennies et a notamment conseillé, au fédéral, les premiers ministres Jean Chrétien et Brian Mulroney.

J’ai commencé par lui demander de poser un diagnostic : pourquoi l’étoile du premier ministre a-t-elle tant pâli ?

L’insatisfaction à l’égard du gouvernement Trudeau a continué de grimper au cours des derniers mois et le Parti conservateur jouit maintenant d’une confortable avance dans les sondages.

« La première raison, c’est que huit ans au pouvoir, c’est beaucoup. Il y a une usure. On l’a vu avec Stephen Harper, on l’a vu avec Jean Chrétien et même avec Brian Mulroney qui, après huit-neuf ans au pouvoir, était fini », explique l’expert.

Il y a aussi la hausse du coût de la vie et la crise du logement, ajoute le professeur.

Et le fait que le gouvernement semble incapable de les régler, ces crises.

Soyons honnêtes : qui, ces jours-ci, a l’impression que le moteur de la machine fédérale est performant ? Je ne vois pas beaucoup de mains se lever…

Ça s’explique aisément, selon Donald Savoie. « On a centralisé le pouvoir à un point tel que toutes les décisions relèvent du bureau du Conseil privé (chargé de conseiller le premier ministre) ou du bureau du premier ministre. »

Ce problème, l’expert le connaît bien. Il l’a exposé dans ce qui est peut-être à ce jour son essai le plus célèbre : Governing from the Centre, publié à la fin des années 1990.

Il démontre dans ce livre comment le pouvoir a été concentré autour du premier ministre, à Ottawa, depuis Pierre Elliott Trudeau.

« Le Conseil privé est passé de 75 ou 100 personnes à plus de 1000 personnes. Et le bureau du premier ministre, qui avait un secrétaire principal et quelques employés, en a maintenant plus de 100 », dit-il.

Si bien que « les décisions difficiles et importantes, celles qui pourraient provoquer des controverses, sont déléguées vers le haut et non vers le bas ». Alors qu’il y a une quarantaine d’années, les ministres et leurs sous-ministres géraient eux-mêmes leurs dossiers, m’explique Donald Savoie.

Vous vous demandez pourquoi le gouvernement n’est pas assez réactif ? Vous trouvez qu’il a l’air d’être sur le pilote automatique ? Ne cherchez pas plus loin.

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Donald Savoie, politologue

Tout ça est très problématique. Si tu veux que les dossiers passent par le centre, tu vas avoir un goulot d’étranglement, car il y a toujours plus de dossiers que ce que tu peux gérer.

Donald Savoie, politologue

Récemment, dans un long reportage du quotidien The Globe and Mail, on laissait entendre que la cheffe de cabinet de Justin Trudeau, Katie Telford, ferait partie du problème. Notamment parce qu’elle cherche à tout contrôler.

Mais pour Donald Savoie, le problème ne se résume pas à une seule personne. Il est structurel.

Il me rappelle que le conseiller le plus influent de Trudeau père, Jim Coutts, avait aussi été la cible de critiques. « Des ministres disaient qu’il fallait s’en débarrasser », rappelle-t-il.

Or, son départ n’a absolument rien changé.

Un problème structurel exige des solutions structurelles.

Donald Savoie, politologue

« Si j’avais à conseiller Justin Trudeau, je lui dirais de faire confiance à certains ministres forts », dit-il. De déléguer des responsabilités à des ministres « qui gèrent bien leurs dossiers et qui savent communiquer ». Il cite par exemple François-Philippe Champagne et Dominic LeBlanc.

Mais n’est-il pas trop tard ? N’a-t-on pas atteint un point de non-retour ?

Pas nécessairement, pense Donald Savoie.

« Harold Wilson a dit : une semaine en politique, c’est long », lance-t-il, citant cet ancien premier ministre britannique.

Et le fait est que le prochain scrutin fédéral n’est certainement pas pour demain.

« D’ici six mois, on va avoir une autre crise, un dossier politique va être très controversé. Et le premier ministre pourrait faire que cette crise-là soit favorable à son avenir politique », dit-il.

Encore faut-il, par contre, qu’il parvienne à bien la gérer. Sans compter que son nouveau rival conservateur, Pierre Poilievre, est plus redoutable que ses deux prédécesseurs, Andrew Scheer et Erin O’Toole.

Justin Trudeau est-il sur ses derniers milles ? Peut-être pas. Mais il semble clair que depuis son élection en 2015, il n’a jamais été dans une position aussi précaire.

Qui est Donald Savoie ?

Né à Saint-Maurice — au Nouveau-Brunswick — en 1947, Donald Savoie est actuellement titulaire de la Chaire de recherche du Canada en administration publique et gouvernance à l’Université de Moncton. Cet universitaire acadien s’intéresse depuis longtemps aux politiques publiques et au fonctionnement de la démocratie canadienne. Il a publié de nombreux livres à ce sujet. Son plus récent s’intitule : Le Canada — Au-delà des rancunes, des doléances et de la discorde.

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