La ministre Pascale Déry a annoncé cette semaine un nouveau modèle de tarification pour les étudiants qui ne sont pas du Québec. Elle propose notamment de cesser de subventionner les étudiants du Canada anglais, de revoir à la hausse les tarifs imposés aux étudiants étrangers, puis, avec les fonds recueillis, commencer à corriger le déséquilibre considérable entre le financement des établissements francophones et anglophones du Québec.

Grâce à la nouvelle grille, les contribuables québécois vont cesser d’offrir, à coup de 100 millions de dollars par année, des études universitaires au rabais à des étudiants des autres provinces qui, pour la plupart, retournent chez eux après avoir profité du faible coût des études au Québec. C’est du gros bon sens. Par exemple, en 2021, la moitié des médecins diplômés de McGill, formés grâce à nos impôts, ne pratiquaient pas au Québec !

Les nouveaux tarifs resteront comparables aux frais en vigueur dans les universités canadiennes et correspondront aux coûts réels de la formation des étudiants. Fair enough, isn’t it ?

Le déséquilibre entre les réseaux universitaires francophone et anglophone est absolument indécent. Son ampleur et son origine sont bien démontrées ici1 par l’économiste Pierre Fortin et ici2 par Yves Gingras, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Selon le chercheur Frédéric Lacroix, en 2020-2021, toutes sources de revenus confondues, les universités anglophones recevaient 3588 $ de plus par étudiant à temps complet que les établissements francophones.

Ce nécessaire rééquilibrage comporte aussi un enjeu de justice sociale. Dans le réseau de l’Université du Québec, un étudiant sur deux est un étudiant de première génération (un étudiant dont les parents n’ont pas de diplôme universitaire) ; à McGill, c’est un sur cinq. Le déséquilibre de financement des établissements contribue à maintenir ces inégalités sociales, il faut le corriger pour cela aussi.

Si, aujourd’hui, les universités anglophones accaparent la part du lion des fonds gouvernementaux, il est utile de rappeler qu’elles ont été, dès leur fondation, parmi les principaux bénéficiaires de la domination coloniale britannique sur le Québec.

Depuis deux siècles, elles sont généreusement financées par les héritiers d’une communauté anglophone dont la richesse est issue de ce colonialisme. Entre 1870 et 1900, 70 % de toute la richesse au Canada était dans les mains d’une cinquantaine d’hommes qui habitaient un quadrilatère résidentiel situé au pied du mont Royal et appelé le Golden Square Mile. L’Université McGill y est installée aujourd’hui. Rappelons que durant les beaux jours du Golden Square Mile, de 1840 à 1930, c’est un million de Québécois qui ont dû s’exiler aux États-Unis parce qu’ils n’arrivaient pas à se nourrir chez eux.

Aujourd’hui, le déséquilibre est ailleurs. Les universités francophones doivent concurrencer à la fois la force d’attraction de l’anglais et une qualité d’installations universitaires qu’elles ne pourront jamais s’offrir si leur financement reste le même. Conséquence logique, des dizaines de milliers d’étudiants étrangers – ne pas confondre avec les étudiants d’ailleurs au Canada – choisissent les universités anglophones (ils représentent le quart de leurs effectifs) et 40 % de tous les étudiants à Montréal fréquentent maintenant un établissement anglophone.

En juin dernier, le commissaire à la langue française affirmait que l’utilisation de l’anglais dans l’espace public et au travail était étroitement liée au fait d’avoir fait ses études postsecondaires dans cette langue. Le dernier recensement fédéral soulignait la même chose : le fait d’avoir étudié en anglais dans des études postsecondaires est un facteur déterminant pour l’utilisation de cette langue au travail, notamment par les allophones.

La vitalité des établissements universitaires francophones est donc cruciale pour l’avenir du français.

En améliorant le financement des établissements francophones, le gouvernement contribue aussi à consolider leur pouvoir d’attraction, et ce, sur tout le territoire québécois. Cela aura notamment comme effet, grâce au réseau de l’Université du Québec, de faciliter la régionalisation de l’immigration, un enjeu crucial lui aussi.

Le mépris

On croit s’y être habitué, mais l’ampleur du mépris du Canada anglais pour le Québec surprend toujours. Depuis l’annonce du nouveau modèle de tarification pour les étudiants hors Québec par la ministre Déry, une nouvelle vague d’insultes nous vient de l’autre rive de la rivière des Outaouais.

John Ivison, du respecté National Post, par exemple, affirmait qu’avec cette décision, l’objectif du gouvernement Legault était de faire « un paradis pure laine, hermétiquement fermé, où il n’y a pas d’emplois et où tout le monde parle français ». C’est le National Post ; imaginez ce qui se dit sur les réseaux sociaux !

M. Ivison oublie qu’après ces changements tout à fait justifiés, les établissements anglophones du Québec continueront d’être très bien financés… et les établissements universitaires des francophones hors Québec resteront sur le respirateur artificiel, comme l’Université de l’Ontario français qui peine à attirer des étudiants⁠3, comme l’Université de Sudbury sans cours en français depuis trois ans faute de fonds⁠4, ou encore comme l’Université d’Ottawa, un terreau pour la haine des francophones⁠5. M. Ivison devrait garder son mépris pour ceux qui le méritent.

1. Lisez la chronique de Pierre Fortin, dans L’actualité 2. Lisez le texte d’opinion « Le juste retour de la péréquation » 3. Lisez le texte « Pourquoi l’Université de l’Ontario français peine-t-elle à attirer des élèves franco-ontariens ? » 4. Voyez le reportage de Radio-Canada 5. Lisez le texte de Radio-Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue