Les fâchés noir contre les médias savourent une drôle de victoire. Sur X, la semi-poubelle aux relents fétides, ils triomphent. « Les merdias vivent leur karma ! » C’est que jeudi dernier, le couperet est tombé. Pierre Karl Péladeau a annoncé 547 suppressions de postes à TVA. Contrairement à ce que croient les crinqués du X, un média qui craque, gravement amputé, n’est pas une bonne nouvelle.

Surtout que ces coupes surviennent après celles annoncées chez Bell, Corus, Les coops de l’information, après la fermeture des journaux de Métro Média, avant les compressions qui ne tarderont pas à Radio-Canada. Et que dire de l’avenir du diffuseur public si Pierre Poilievre accède au pouvoir à Ottawa.

Les raisons de ces coupes sont nombreuses. Celles évoquées par Péladeau : les GAFAM et les plateformes numériques. Celles que nous connaissons : la désaffection envers la culture locale et la désuétude du modèle d’affaires de la télévision. Celles qui viennent à l’esprit de tous : la gestion calamiteuse de TVA Sports et la décision de maintenir cet éléphant blanc. Le proprio de Québecor a aussi souvent accusé Radio-Canada de voler le pain des privés en empochant à la fois l’argent du fédéral et celui de la publicité. Pas faux : la société d’État jouit d’un statut bien particulier. Mais par ailleurs, la galette publicitaire est aujourd’hui partagée en plusieurs parts, donc moins intéressante. Et (presque) toute notre télé est soutenue par les crédits d’impôt accordés aux producteurs. C’est un choix politique pour assurer la pérennité de la télé d’ici. Le prix à payer pour fabriquer de la culture locale. La télé n’est pas que marchandise : elle construit aussi de la culture.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

L’annonce de suppressions de postes à TVA survient après celles annoncées chez Bell, Corus, Les coops de l’information, après la fermeture des journaux de Métro Média et avant des compressions qui ne tarderont pas à Radio-Canada.

Perdre des ressources médiatiques n’est pas nouveau. À Radio-Canada, on a considérablement réduit la couverture internationale, qui coûte une fortune. Les courageux médias locaux ont fondu comme peau de chagrin, alors que nous en avons tellement besoin, ignorants trop souvent de nos enjeux de proximité. Et c’est maintenant sur le plan national et généraliste que les coupes surviennent. Nous commençons à nous y faire, fatalistes.

Ces pertes, jusqu’à récemment essentiellement en information, affaiblissent un peu plus notre muscle démocratique, nous rendent plus mous, moins concernés, plus vulnérables.

De plus, elles surviennent à un moment où plusieurs d’entre nous se détournent de l’information, anxieux ou défiants. À un moment où, à cause de la polarisation, les réseaux sociaux dégoulinent de fausses nouvelles et où l’intelligence artificielle joue avec la vérité.

À TVA, ce coup-ci, c’est donc la télé générale qui écope. Et TVA fabrique de la culture québécoise. Une certaine culture d’ici, populaire et émotive. Celle produite par Radio-Canada est généralement bien-pensante. Télé-Québec se veut éducative. Des variantes et des modes les colorent, mais en gros, leur couleur est dans leur ADN. Et c’est l’ENSEMBLE qui constitue un bout de notre culture.

La culture « TVAesque » serait racoleuse et populiste, inspirée de la télé mondialisée, avec ses adaptations locales de formats télévisuels à succès. Elle a pourtant contribué, depuis le Canal 10, à bâtir un star-système bien d’ici, qui nous distinguait du reste de l’Amérique. Un star-système qui permettait l’adhésion à une société, qui faisait des petits, et qui débordait sur la chanson, le cinéma. Il était parfois quétaine, mais son originalité a fait rempart contre la dilution qui guette une culture aussi fragile que la nôtre par son nombre.

Oui, TVA produit de la culture québécoise. Et continuera à le faire par l’entremise de la production privée. Une culture que certains méprisent, mais qui contribue à souder la société, qui procure du réconfort, qui accueille les nouveaux arrivants dans une grande famille bienveillante.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

En annonçant 547 suppressions de postes, Pierre Karl Péladeau a dit : « Nous avons le devoir de sauver TVA. » Il faut aussi sauver notre culture, écrit Marie-France Bazzo.

Mais il faut maintenant reconnaître que ce monde appartient au passé. Car la télévision et la culture ne sont plus aujourd’hui ce lien unificateur. La culture est aujourd’hui tributaire des plateformes numériques. Les talents locaux sont, comme dans la plupart des cultures, dilués dans la masse. TVA et son approche très locale étaient condamnées.

La perte de 547 postes, c’est plus qu’un drame pour 547 familles dévastées. C’est le symbole de ce qui est en train de se jouer partout où les cultures nationales sont fragiles. C’est l’échec et le remplacement d’un modèle économique de diffusion par un autre qui met en péril les produits culturels locaux et, ce faisant, les cultures locales.

Nul ne sait mieux parler à une partie de la population que TVA. En flattant son public dans le sens du poil, en maugréant juste ce qu’il faut, avec aussi un brin de démagogie. C’est une perte pour le Québec, pour notre culture consensuelle. Pierre Karl Péladeau dit : « Nous avons le devoir de sauver TVA. » Il n’a pas tort. Mais comment, face au raz-de-marée numérique et à notre démission collective face à notre propre culture, y compris télévisuelle ? Car tout n’est pas systématiquement QUE la faute des autres. Il va falloir y voir sérieusement, car les coupes dans la culture au quotidien sont aussi handicapantes que celles en information. C’est de l’identité qui fout le camp.

Mais le plus ironique dans tout ça demeure que l’édifice emblématique de TVA, boulevard De Maisonneuve, pourrait être vendu pour être transformé en logements sociaux. Comme quoi une crise peut contribuer à en apaiser une autre. Conclusion logique pour une marque championne… de la culture populaire !

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