Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

C-A-Q. Jusqu’à l’élection partielle dans la circonscription de Jean-Talon, ces trois lettres semblaient indestructibles.

Or, depuis le 2 octobre dernier, la « marque » CAQ perd des plumes.

Ce qui faisait la force de la Coalition avenir Québec – le flair politique de son leader, la cohésion de ses membres, la communication partisane et la proximité avec la population – semble s’effriter un peu plus chaque jour.

« La marque CAQ était synonyme de victoire, un vrai bulldozer », me lance le politologue Philippe Dubois, professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

D’accord avec lui. Mais la démission de la députée caquiste Joëlle Boutin, comme le battement d’ailes d’un papillon, a marqué le début d’un enchaînement d’évènements et de mauvaises décisions qui ont abouti à un sondage dévastateur. Réalisé par la jeune firme Pallas Data, il place la CAQ à 24 % des intentions de vote des Québécois, six points de pourcentage derrière le Parti québécois (30 %) qui, lui, semble avoir le vent dans les voiles.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le candidat péquiste Pascal Paradis (à gauche) a remporté l’élection partielle dans Jean-Talon, le 2 octobre dernier. La marque politique de la CAQ semble en pleine déroute depuis.

La confiance n’y est plus

Est-ce vraiment l’élection dans Jean-Talon qui a tout déclenché ? J’ai posé la question à Catherine Ouellet, chercheuse en politique québécoise et canadienne. « La majorité des gens ne suivent pas la politique chaque jour », observe cette professeure au département de science politique de l’Université de Montréal. « Or, le résultat de la partielle de Jean-Talon a été très médiatisé. La victoire du PQ dans une circonscription traditionnellement libérale n’est pas passée inaperçue. La volte-face et le bris de confiance concernant le troisième lien ont affecté la cohérence qu’on associait à la marque CAQ. »

Même son de cloche chez Philippe Dubois. « La CAQ n’était pas associée à un projet ou une idéologie, souligne-t-il. C’était un parti qui “livrait la marchandise” et qui “tenait ses promesses”. Or [les élus de la CAQ] ont brisé leur plus grande promesse, le troisième lien. C’est très symbolique. Et ça leur a attaché un grelot à l’épaule. Maintenant, chaque fois qu’ils bougent, on entend ce grelot. »

Les allers-retours à propos du troisième lien, combinés au retrait du projet de tramway de Québec des mains du maire Bruno Marchand, ont renforcé l’impression que le pilote dans l’avion de la CAQ est distrait, qu’il manque de jugement. La décision de confier le dossier de la mobilité dans la région de Québec à la Caisse de dépôt et placement du Québec n’a rien fait pour rassurer la population. Mais la cerise sur le gâteau est sans contredit les 5 à 7 millions de dollars accordés par le ministre des Finances Eric Girard pour deux matchs préparatoires des Kings de Los Angeles.

Toutes les gaffes n’ont pas le même poids. Celle [d’accorder des millions aux Kings] renforce le sentiment de déconnexion avec la population de la part d’un parti qu’on estimait proche du peuple et connecté aux besoins des gens sur le terrain.

Catherine Ouellet, chercheuse en politique québécoise et canadienne

Autre gros caillou dans la chaussure de la CAQ : la difficile négociation avec le secteur public. De la part d’un parti qui a toujours prétendu que l’éducation était sa priorité, en plus d’affirmer qu’il voulait « réparer » les services de santé, c’est décevant. Et le fait que la grande majorité des employés en grève cette semaine sont des femmes ne fait qu’amplifier l’aspect boys club de ce gouvernement.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Manifestation organisée par la Fédération autonome de l’enseignement, jeudi à Montréal

Avec le recul, on constatera sûrement que l’automne 2023 a donc marqué l’histoire de la CAQ. « La CAQ avait un avantage sur les autres partis, rappelle Philippe Dubois, de l’ENAP. Il était nouveau, il arrivait sans bagages contrairement aux vieux partis. Là, il en a un petit [bagage]. »

Le je-me-moi de Legault

« Les Québécois sont choqués contre moi. » C’est par ces mots que le premier ministre Legault a commenté le sondage désastreux de mercredi. Catherine Ouellet n’est pas du tout surprise de cette personnalisation de la part du chef de la CAQ. « La CAQ, c’est lui ! », lance-t-elle.

« Même si, à l’origine, le parti rassemblait plusieurs anciens adéquistes, poursuit-elle, ça reste un parti qui est né avec François Legault. C’est lui, la marque de commerce de la CAQ. Les deux sont indissociables. Et j’irais même jusqu’à dire que le citoyen lambda a de la misère à imaginer la CAQ sans François Legault.

« Alors ce n’est pas étonnant qu’il prenne les critiques de manière si personnelle. »

Philippe Dubois acquiesce.

La CAQ a du succès depuis qu’on a personnalisé le parti autour de François Legault.

Philippe Dubois, politologue et professeur adjoint à l’ENAP

Le parti et son chef pourront-ils remonter la pente, de plus en plus abrupte ? « Si Paul St-Pierre Plamondon joue bien ses cartes et qu’il monte encore dans les sondages, ça pourrait devenir difficile, croit la professeure Catherine Ouellet. Il reste du temps, mais on sent un vent de fatigue. Et la CAQ n’a pas de grandes réalisations auxquelles s’accrocher. Je ne veux pas être trop ingrate, car il y a eu la pandémie, mais il reste qu’on a de la difficulté à identifier l’héritage de la CAQ, et ça, c’est un problème. »

Philippe Dubois reconnaît lui aussi que le premier mandat de la CAQ, qui a permis à François Legault d’occuper tout le terrain politique, n’a pas permis au parti de réaliser un vrai mandat. Or, son second mandat est tout sauf facile. « Le gouvernement doit gérer des dossiers difficiles et peu sexy comme le salaire des députés, le dossier de la santé, la négociation avec le secteur public. S’il réussit à régler ça, il pourra se concentrer sur des réalisations. Il a le temps. »

M. Dubois croit en outre que l’absence d’adversaire politique nuit à François Legault. N’est-ce pas contre-intuitif ?

« Quand le Parti libéral du Québec aura trouvé un chef et que Québec solidaire aura confirmé ses porte-parole, François Legault saura contre qui il se bat, croit le professeur. Il pourra se repositionner, ajuster le tir. Actuellement, on est face à la question : êtes-vous pour ou contre François Legault ? »

Et ces temps-ci, on dirait que le contre l’emporte…

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