C’est une erreur de se moquer du débat sur Noël. Le « Document de réflexion sur l’intolérance religieuse » de la Commission canadienne des droits de la personne, document à l’origine de la controverse actuelle, véhicule une idéologie dont la toxicité est bien réelle.

Rappelons d’abord un des paragraphes à la source du débat : « La discrimination à l’égard des minorités religieuses au Canada est ancrée dans l’histoire du colonialisme au Canada. Cette histoire se manifeste aujourd’hui par une discrimination religieuse systémique. Un exemple évident est celui des jours fériés au Canada. Les jours fériés liés au christianisme, dont Noël et Pâques, sont les seuls jours fériés canadiens liés à des fêtes religieuses. Par conséquent, les non-chrétiens peuvent avoir besoin de demander des aménagements spéciaux pour célébrer leurs fêtes religieuses et d’autres périodes de l’année où leur religion les oblige à s’abstenir de travailler1. »

Premier danger : tout ramener à la discrimination

La volonté de l’État canadien et de l’Église de faire disparaître les cultures autochtones constituait, sans nuance, de la discrimination et du racisme. Toutefois, la simple existence d’une majorité non autochtone n’en constitue pas.

Quand les Français, puis les Britanniques se sont installés dans ce qui s’appelle aujourd’hui le Québec, ils ont apporté avec eux leur identité. Ils ont décidé de célébrer les fêtes qui étaient les leurs. Doit-on le leur reprocher ? En 1900, après trois siècles d’existence, ce qui s’appelle aujourd’hui le Québec était composé à 98 % de gens d’origine française ou britannique, l’autre 2 % était constitué d’immigrants récents et d’Autochtones. Aujourd’hui encore, près de 95 % de la population du Québec est de tradition chrétienne (qu’ils soient pratiquants ou non, croyants ou non). Quoi qu’en pensent les idéologues de la Commission, le fait que nos jours fériés soient liés au christianisme relève évidemment plus de l’histoire et de la démographie que de la discrimination. Ne pas faire ces nuances, c’est contribuer à construire un « nous contre eux » que la Commission devrait plutôt combattre.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Défilé du père Noël à Montréal, le mois dernier. Depuis longtemps, le personnage principal de la fête n’est plus Jésus, mais bien le père Noël, estime l’auteur de ce texte.

Deuxième danger : confondre religion et culture

Les cadeaux, les lumières de Noël, le sapin, les tourtières, les atocas sont des traditions qui sont au cœur de notre identité, une identité qui a bien changé : le Noël d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier (ni Pâques, d’ailleurs). Depuis longtemps, le personnage principal de la fête n’est plus Jésus, mais bien le père Noël. On ne célèbre plus une unique naissance, on célèbre tous les enfants. Anecdote sympathique : durant la pandémie, les Québécois étaient les champions toutes catégories de la distanciation physique au Canada⁠2… sauf à Noël ! En effet, en 2020, 43 % des Canadiens (50 % des Ontariens) affirmaient qu’ils ne se réuniraient pas avec des gens de l’extérieur de leur ménage pour Noël. Au Québec, c’était 14 % ! Virus pas virus, on ne badine pas avec Noël.

Oui, pour eux, Noël est « sacré », mais les Québécois sont quand même les Canadiens qui pratiquent le moins une religion⁠3 et ceux qui donnent le moins d’importance dans leur vie à leurs convictions religieuses ou spirituelles. Selon un sondage Angus Reid de 2022, le Québec est aussi la province qui compte le plus d’athées et d’agnostiques ainsi que l’État nord-américain où il y a le moins de gens qui croient au créationnisme. Comme le Noël des chrétiens avait jadis supplanté les célébrations du solstice d’hiver, l’anniversaire du Christ a aujourd’hui laissé sa place à la fête de tous les enfants, une fête qui est devenue, pour la grande majorité des familles, complètement laïque.

Confondre rites religieux et manifestations culturelles, c’est donner à la religion une place qu’elle n’occupe plus et qu’elle ne doit plus occuper. Il faut valoriser les cultures, pas les religions.

Troisième danger : l’absence de critique des religions

Ce qui me dérange le plus dans le document produit par la Commission canadienne des droits de la personne, c’est qu’on y assimile l’intolérance religieuse au « manque d’accommodement et d’acceptation des pratiques religieuses », comme si aucune pratique religieuse ne méritait d’être dénoncée ! Est-ce faire preuve d’intolérance religieuse que de dénoncer l’interdiction de l’ordination des femmes chez les catholiques ? Est-ce faire preuve d’intolérance religieuse que de dénoncer le rejet des minorités sexuelles par les autorités religieuses musulmanes ? Est-ce faire preuve d’intolérance religieuse que de dénoncer la misogynie de toutes les religions du livre⁠4 ? Est-ce faire preuve d’intolérance religieuse que de dénoncer les folies des raëliens ou les attaques de l’Église de scientologie contre la science⁠5 ? Finalement, est-ce faire preuve d’intolérance religieuse que de reconnaître que les théocraties sont mortelles pour les droits de la personne ?

Tout ramener à la discrimination, confondre religion et culture, ne pas reconnaître que certaines pratiques religieuses sont toxiques sont, à mon avis, d’excellentes façons de stimuler l’intolérance religieuse. C’est à ça que la Commission devrait réfléchir. Sérieusement.

1. Consultez le « Document de réflexion sur l’intolérance religieuse » de la Commission canadienne des droits de la personne 2. Lisez l’article « Distanciation : le Québec dans une classe à part au Canada » de L’actualité 3. Lisez l’article « Religion : les Québécois sont les moins pratiquants au Canada » du Devoir

4. Le péril Dieu : toutes les religions sont sexistes, de Tristane Banon, aux éditions de L’observatoire

5. Voyez le reportage « Église de scientologie : l’équipe d’Enquête infiltre l’organisation » de Radio-Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue