Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

« Le rôle de Catherine Tait n’était pas d’annoncer des coupes, son rôle, c’était de les dénoncer. »

Pierre C. Bélanger ne mâche pas ses mots quand je lui demande ce qu’il pense de la manière dont les coupes de 125 millions de dollars, de 600 emplois et de 200 postes vacants à Radio-Canada/CBC ont été présentées à la population en début de semaine.

Le professeur émérite en communication de l’Université d’Ottawa, qui suit cette industrie depuis plusieurs décennies, est très critique à l’endroit de l’actuelle présidente de la société d’État.

Pour cet expert, l’annonce de lundi dernier était prématurée. « Pourquoi traumatiser des centaines de familles avant Noël quand on n’a pas toutes les données en main ? Tu rends insécures des jeunes dans une industrie attaquée de toutes parts. Ça aurait très bien pu attendre le 6 janvier. »

Si le professeur Pierre C. Bélanger est à ce point abasourdi, c’est parce qu’il manque beaucoup de variables dans l’équation de Mme Tait.

Le ministère du Patrimoine n’a même pas précisé si Radio-Canada/CBC devait retrancher 3 % ou 1,5 %, ou si la société d’État était totalement exemptée des coupes. Comment peut-on arriver à un tel résultat sans connaître le véritable poids de ces variables ?

Pierre C. Bélanger, professeur émérite en communication de l’Université d’Ottawa

La sortie de Mme Tait est d’autant plus prématurée, selon lui, qu’on ne connaît pas encore la répartition des 100 millions de dollars annuels versés par le géant Google aux médias canadiens.

« C’est une aide au journalisme et Radio-Canada/CBC est le plus grand fournisseur de journalisme au pays, insiste le professeur. La ministre du Patrimoine aurait dû désamorcer la situation dès le départ en déclarant que Radio-Canada/CBC avait le droit à une part de cette somme. Là, on se retrouve devant une situation où Mme Tait ne sait pas si elle sera soumise aux compressions ni combien elle recevra des 100 millions, mais elle sait quand même qu’elle va supprimer 800 postes. C’est quand même incroyable ! »

À cette confusion, il faut ajouter la crise provoquée au sein de la société d’État. Les propos de Mme Tait laissent présager que les coupes seront réparties à parts égales entre le service français et le service anglais. Le professeur Pierre C. Bélanger croit que cette « injustice extraordinaire », ce sont ses mots, expliquerait le départ précipité plus tôt cette année du vice-président des services français, Michel Bissonnette.

Un message qui rate la cible

L’annonce de lundi dernier représentait plusieurs défis pour la présidente Catherine Tait : il fallait savoir être transparente avec les employés tout en étant solidaire. Il fallait être solide dans ses explications et convaincante dans sa défense de l’institution.

On ne peut pas dire que c’est mission accomplie.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Un studio radio de la nouvelle Maison de Radio-Canada, à Montréal. Les propos de Mme Tait, cette semaine, laissent présager que les coupes seront réparties à parts égales entre le service français et le service anglais.

Sa tournée d’entrevues a frôlé la catastrophe. Invitée au Téléjournal de Patrice Roy sur les ondes d’ICI Télé, Mme Tait a offert le dessus de sa tête à la caméra à plusieurs reprises. Sans doute moins à l’aise en français – qu’elle maîtrise pourtant très bien –, elle se penchait sur ses notes entre chaque question de l’animateur, ce qui lui donnait un air moins assuré.

Son passage à la CBC a été encore plus difficile.

À la question de l’animatrice Adrienne Arsenault à propos des bonis annuels de 16 millions de dollars distribués aux cadres de la société d’État, Mme Tait aurait dû être catégorique : pas de boni en contexte de coupes budgétaires. Elle a plutôt déclaré qu’elle n’avait pas encore étudié la question.

Le « O… K… » d’Adrienne Arsenault en disait long.

« Il y avait un problème de transmission du message, confirme Colette Brin, professeure au département d’information et de communication de l’Université Laval. Mme Tait semblait plus en contrôle en anglais, mais elle était souvent surprenante dans ses explications. Or, elle a le devoir d’envoyer un message clair. »

Une relation difficile

On s’entend, assumer la présidence de Radio-Canada/CBC n’est pas une tâche facile. Et rares sont les dirigeants qui n’ont pas été critiqués durant leur mandat.

Cela étant dit, entre Catherine Tait et Radio-Canada/CBC, on dirait que la sauce n’a jamais pris. La plus grande contribution de Catherine Tait demeure la diversité, l’équité et l’inclusion, selon Colette Brin. « Mais elle ne semble avoir aucune sensibilité à la culture québécoise et à ce qui se passe ici », ajoute la professeure.

« Je n’ai jamais senti de ralliement derrière cette personne-là, renchérit Pierre C. Bélanger. Pour gagner la sympathie de ses employés, il aurait fallu qu’elle ait foi dans la diffusion publique et qu’elle défende ses troupes. »

À son avis, Catherine Tait aura été la moins visible des six ou sept derniers dirigeants de la société d’État. « C’est difficilement justifiable, ajoute le professeur Pierre C. Bélanger. Dans ce poste, tu dois être incontournable, participer à tous les forums. Or, on ne la voit pas, on ne l’entend pas. Être un messager aussi discret, pour moi, c’est une faiblesse. »

En cette semaine particulièrement difficile, Catherine Tait aurait dû faire preuve de leadership. Elle a plutôt livré un message confus et donné l’impression qu’elle abandonnait ses employés à leur sort. Faut-il vraiment attendre janvier 2025 pour donner à Radio-Canada/CBC un président ou une présidente à la hauteur de cette fonction ?

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