Parmi les grands disparus de 2023, on compte l’astrophysicien et vulgarisateur scientifique Hubert Reeves, qui nous a quittés en octobre. « Je me pose la question depuis sa mort, surtout étant père d’un jeune enfant. Qui peut maintenant occuper cette place dans l’imaginaire des enfants (et des adultes) ? », m’a écrit un lecteur, Sébastien Lynch.
La question est bonne. Hubert Reeves est irremplaçable. Mais le Québec fourmille de scientifiques qui ont fait le choix de s’adresser au grand public, chacun à sa façon. Je vous en présente ici quelques-uns, fruit d’une sélection bien personnelle qui est loin d’être exhaustive.
Boucar Diouf
Il écrit dans La Presse, fait de la télé, parle à la radio, présente des spectacles d’humour, publie des livres tant pour les adultes que pour les enfants. Boucar Diouf s’arrête-t-il parfois pour dormir ? Voilà un mystère à résoudre pour la science. Ce qui est limpide, toutefois, c’est que ce biologiste d’origine sénégalaise a conquis le cœur des Québécois. Il manie la langue française avec truculence et ne rate pas une occasion de nous refiler des notions de biologie (ou des bribes de sagesse de son grand-père) qui passent d’autant mieux qu’elles sont généreusement enrobées d’humour. Titulaire d’un doctorat en océanographie de l’Université du Québec à Rimouski, Boucar a remporté en 2023 le prix Thérèse-Patry pour sa contribution exceptionnelle à la culture scientifique québécoise.
Chloé Savard/Tardibabe
Plonger dans l’univers de Chloé Savard, c’est se faire happer par un monde fascinant et méconnu : celui des bactéries, des microbes et des autres micro-organismes. On pourrait croire que ceux-ci sont répugnants. Mais Tardibabe, comme elle est connue sur Instagram, nous les montre dans des vidéos colorées et envoûtantes. Sous son microscope, tant les acariens qui vivent sur notre visage qu’une goutte de bière révèlent des univers qui viennent brouiller les frontières entre art et science. Ils sont désormais près de 1 million d’abonnés à la suivre sur le réseau social. Les explications scientifiques y sont en anglais, mais Savoir média diffuse aussi des émissions en français qui mettent la microbiologiste en vedette. Si Hubert Reeves représentait l’archétype du chercheur aux longs cheveux blancs à la Albert Einstein, cette femme queer nous montre une tout autre image de la science, et c’est tant mieux – comme le fait d’ailleurs l’ingénieure Farah Alibay, autre vulgarisatrice appréciée des Québécois.
Bernard Lavallée
Celui qu’on appelle le « nutritionniste urbain » parle de bouffe comme personne. Son dernier ouvrage, À la défense de la biodiversité alimentaire, a remporté en 2023 le prix Hubert-Reeves (tout est dans tout) pour la qualité de sa vulgarisation scientifique. Il y sonne l’alarme sur un phénomène méconnu : le fait que de nombreuses espèces alimentaires sont en train de disparaître. Il réussit l’exploit de livrer une tonne de connaissances sur un ton ludique, personnel et sympathique. Ce titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en nutrition fait des chroniques à la télé (Moi j’mange, Télé-Québec), coanime la balado On s’appelle et on déjeune et a écrit deux autres livres.
Consultez le blogue Le nutritionniste urbainNormand Voyer
Si j’avais à dresser une liste des scientifiques les plus sympathiques que j’ai eu la chance d’interviewer, Normand Voyer figurerait tout en haut. Ce chimiste de l’Université Laval n’est pas seulement une sommité dans son domaine – la découverte de molécules bioactives, notamment tirées des plantes du Nord québécois –, c’est aussi un homme qui s’est donné comme mission d’intéresser les jeunes aux études et à la science. Celui qui admet avoir lui-même frôlé le décrochage scolaire sillonne les écoles depuis des années pour y donner des conférences. Celle sur la chimie de l’amour, complètement déjantée, a été présentée 366 fois et a rejoint 67 000 élèves. Vous l’avez aussi peut-être entendu à la radio ou à la télé vous parler de la chimie des maringouins ou de la chimie de la sauce à spaghetti. Un vulgarisateur pur jus, passionné, investi.
Viviane Lalande
Il y a dix ans, l’ingénieure Viviane Lalande lançait à temps perdu une chaîne de vulgarisation scientifique sur YouTube, Scilabus. « Ça a été fulgurant. En six mois, j’avais déjà obtenu… 13 abonnés », lance-t-elle avec humour dans une vidéo qui raconte son histoire. Le mot finira par se passer, et pas à peu près. En 2019, après avoir obtenu un doctorat en génie biomécanique de Polytechnique Montréal, Mme Lalande prend la décision de ne pas poursuivre en recherche pour se consacrer à temps plein à Scilabus. Le pari réussit. La chaîne compte aujourd’hui plus d’un demi-million d’abonnés et Mme Lalande a même pu s’entourer d’une petite équipe. À quoi servent les motifs du papier de toilette ? Pourquoi votre nez coule-t-il en hiver ? Pourquoi les chats ronronnent-ils ? Toutes les réponses sur Scilabus.
Consultez la chaîne YouTube ScilabusMartin Carli
Il a piqué la curiosité de milliers de jeunes (et de moins jeunes) en coanimant le quiz Génial ! à Télé-Québec. L’éternelle blouse blanche qu’il porte ne relève pas de la frime : Martin Carli est un véritable scientifique titulaire d’un doctorat en sciences neurologiques de la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Celui qui se décrit aussi comme enseignant et magicien professionnel a roulé sa bosse tant au Centre des sciences de Montréal qu’au magazine Les Débrouillards, s’imposant comme une figure incontournable de la vulgarisation scientifique québécoise.
Marie-Ève Naud et Nathalie Nguyen-Quoc Ouellette
Ces deux mordues d’espace, titulaires de doctorats dans le domaine, sont rattachées à l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes de l’Université de Montréal. Leur rôle : faire le pont entre le monde de la recherche et le grand public. Vous avez peut-être entendu Nathalie Nguyen-Quoc Ouellette expliquer dans les médias les découvertes du nouveau télescope spatial James Webb. Elle m’a déjà raconté un road trip au Tennessee pour assister à une éclipse solaire avec une passion contagieuse1. Marie-Ève Naud, elle, a notamment fondé La petite école de l’espace, destinée aux petits de 3 à 8 ans. Elle a aussi créé des ressources pour que les enseignants du primaire et du secondaire puissent parler des exoplanètes à leurs élèves. En expliquant l’Univers au public, ces deux femmes me semblent directement dans la lignée d’Hubert Reeves.
1. Lisez l’article « La science comme un road trip au Tennessee » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue