Placer un parent âgé en résidence privée est un geste douloureux. Pour eux. Pour nous. C’est un renoncement, une rupture, une sorte d’aveu d’incompétence, le début de la fin dans certains cas. Une résidence, trop souvent, c’est tout sauf un foyer. Elle pourra être accueillante, humaine : ce ne sera jamais « la maison ».

Ma mère, avant d’entrer au CHSLD épatant dont j’ai déjà parlé ici⁠1, a habité huit ans dans la RPA d’un grand groupe. Autonome, puis à l’unité de soins. C’était glauque et beige, comateux et impersonnel. Plus elle requérait de soins, plus elle payait le prix fort, et plus elle se rapprochait de la sortie. Ces RPA aiment les cas payants, mais simples. Aurait-elle pu rester chez elle, dans sa maison ? Pas avec son alzheimer.

Aboutir en résidence est beaucoup plus fréquent au Québec qu’ailleurs au Canada. Ici, 18,4 % des 75 ans et plus s’y retrouvent, soit presque un aîné sur cinq. C’est le cas pour seulement entre 5 et 10 % des aînés dans le reste du Canada, selon les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) en 2020.

Le récit de fermetures récentes de résidences, surtout des petites, un peu partout au Québec, inquiète ; 2700 places ont été perdues, seulement en 2023. En plus des 2700 résidants déboussolés, le phénomène laisse des centaines de familles désemparées, brise des communautés et jette même, parfois, des gens à la rue.

Ces chiffres soulèvent des questions pressantes. Les résidences nous sont familières, mais quand, comment sont-elles devenues la norme, une réponse unique à des situations complexes ?

On va donc en RPA au Québec plus qu’ailleurs au pays. Le boum date des années 2000. Le nombre d’aînés en résidence a bondi de 40 % de 2008 à 2020. Les facteurs explicatifs sont nombreux : vieillissement de la population, rupture du continuum familial et générationnel, explosion des familles, individualisme, travail des femmes, nouvelles manières de vivre. On ne s’occupe plus des vieux de la famille comme avant, c’est clair.

Dans ce changement social, les résidences ont fait leur nid, venant combler un besoin criant de logement. Partout, des grandes villes aux villages les plus reculés, des Manoirs des aînés et des Maisons Mon repos ont vu le jour. Rapidement, tout un secteur économique s’est installé, des promoteurs ont bâti des entreprises, et de grands groupes se sont formés et ont prospéré.

Le marché est dominé par cinq grandes entreprises au Québec. On dépend très largement du privé pour prendre soin des aînés. Ne devrait-on pas s’en préoccuper ?

Surtout que ce modèle axé sur le profit s’appuie en grande partie sur les crédits d’impôt gouvernementaux visant le maintien à domicile des aînés. L’IRIS, dans son « Portrait d’une industrie milliardaire », avance le chiffre de 5 milliards accordés depuis 2007 en crédits d’impôt remboursables pour le maintien à domicile des aînés. Près de la moitié des sommes attribuées dans le budget 2021-2022 pour bonifier les services à domicile allaient ainsi directement aux RPA.

PHOTO DENIS GERMAIN, ARCHIVES LA PRESSE

Au Québec, 18,4 % des 75 ans et plus se retrouvent en RPA, soit presque un aîné sur cinq. C’est le cas pour seulement entre 5 et 10 % des aînés dans le reste du Canada, selon les données de la SCHL en 2020.

On commence à voir les dérives de ce système. Des promoteurs, en cette période de crise du logement et de prix de l’immobilier en feu, avec des taux d’intérêt plus élevés, n’hésitent pas à vouloir transformer des résidences en logements à louer plus payants et moins compliqués. La lutte des résidants du Mont-Carmel, à Montréal, nous a émus. Le destin aléatoire de ceux qui vivent à la résidence du Jardin botanique nous préoccupe. La crise du logement est une réalité, et elle frappe aussi les plus âgés, ceux qu’on croyait naïvement à l’abri, dans leurs résidences protectrices.

La population québécoise vieillit, et contrairement à ce que prédisaient des observateurs jovialistes des années 2000, les baby-boomers n’ont pas rendu l’âge d’or plus olé olé. Ils n’ont pas inventé une nouvelle façon d’habiter, n’ont pas fondé de maisons collectives accueillantes. Ils sont « placés », eux aussi.

Les RPA colonisent notre façon de voir la vieillesse.

On développe peu l’idée de soins à domicile généralisés, ou celle de tisser un réseau de soins solide, efficace et durable autour des aînés qui veulent, avec de l’aide, conserver leur logement ou leur maison. Si ça existait de manière plus probante, c’est toute la société qui en sortirait gagnante, et pas que les vieux directement concernés.

L’État, les promoteurs, nous, les familles, nous accommodons trop facilement d’un système sans imagination qui ne met pas l’humain au cœur de ses préoccupations. La logique qui prévaut n’est pas démographique, mais économique. Même les bruyants et nombreux baby-boomers n’auront pas réussi à dompter le système. Avec leur arrivée sur le marché de la RPA, on aura même vu les résidences de haut standing éclore et prospérer. Les classes sociales continuent d’exister même aux troisième et quatrième âges !

Le Québec vieillit. La crise du logement ne s’endiguera pas. Le modèle des RPA domine. Deux ou trois Maisons des aînés semi-pleines par-ci, par-là ne sont pas une solution systémique. Il faut repenser sérieusement et en profondeur la question du logement des aînés. Ça presse.

1. Lisez la chronique « La dernière demeure » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue