Le hasard aura fait en sorte que Dominique Ollivier et moi participions à une même activité samedi, le jour où j’ai appris dans La Presse qu’elle poursuivait pour 1,6 million les médias de Québecor ayant dévoilé ses dépenses à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Au lunch, Mme Ollivier et moi avons discuté des sujets d’usage d’une première rencontre, mais avons inévitablement abordé ce que j’avais lu dans le journal le matin même.

Elle me semblait droite, fière, mais aussi triste et blessée. Ému par cet échange qui la dévoilait au-delà des grands titres, je suis demeuré habité par la question suivante : est-il possible d’imaginer plus de clémence envers nos élues et autres représentantes de l’État ? Ici, le féminin est employé exprès et l’emporte sur le masculin.

Dominique Ollivier n’est pas libre de tout reproche. Je n’essaie pas non plus de déterminer si elle a raison dans sa poursuite. J’ai d’ailleurs lu sa demande introductive d’instance et à mon sens, ce n’est pas un cas évident de diffamation. Si jamais un tribunal lui donne raison, l’affaire fera jurisprudence. Cela dit, je note qu’elle n’a commis aucune faute objectivement sanctionnable. Je note aussi que les opinions les plus fortement entendues ont crié à l’inutilité de l’OCPM, alors que plusieurs acteurs de la société civile experts en participation démocratique ont insisté sur la pertinence de cette instance.

Personne n’a eu quoi que ce soit à reprocher à Mme Ollivier comme numéro deux de la Ville de Montréal, au contraire. Le débat sur son maintien à cette fonction concernait surtout la question du lien de confiance avec la population dans les circonstances, pour des faits survenus avant même son élection. Une notion relevant en partie de l’analyse objective, mais aussi d’une subjectivité pouvant jouer des tours. Janette Bertrand en a parlé à Tout le monde en parle. « La double mesure […]. Ça fait 98 ans que je vois des politiciens hommes qui font vivre les grands restaurants de Montréal. Pis, là, parce que c’est une femme qui fait ça, noire en plus, ah ben là, c’est épouvantable. » Comment ça se fait ?

En ce Mois de l’histoire des Noirs, permettez-moi de revenir sur un autre cas pas trop lointain.

D’origine haïtienne, Tamara Thermitus est une avocate nommée présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en 2017. Un article du magazine The Walrus1 paru en 2022 expose de façon troublante le fiel qu’elle a reçu jusqu’à sa démission en 2018, allant de l’équipe à l’interne à la classe politique provinciale.

À cette époque, l’artiste et militant Ricardo Lamour m’avait alerté que MThermitus semblait victime de « mobbing », phénomène par lequel un groupe se mobilise consciemment et inconsciemment afin d’isoler et d’exclure une personne. Je fais mon mea culpa de ne pas avoir été plus sensible à son discours.

Dominique Ollivier n’a pas vécu exactement la même chose, mais on peut se demander si, dans la foulée de la controverse l’impliquant, elle a été traitée avec dignité. Dans sa chronique publiée dimanche, Yves Boisvert a reconnu que « [s]ans doute, Dominique Ollivier ne méritait pas le déferlement de haine qui s’est abattu sur elle ». Cette haine n’apparaît pas de nulle part. Elle peut être nourrie par les chroniqueurs et journalistes, même lorsqu’ils agissent en respect de leurs obligations légales.

Au-delà du cadre juridique applicable, quel genre d’éthique renouvelée serait possible, alors qu’il est notoire que les femmes agissant dans l’espace public, et les femmes noires en particulier, reçoivent davantage d’attaques ? Sans les dédouaner de la critique, on ne peut plus fermer les yeux face à la violence qu’elles subissent. Justement, peut-être avons-nous la critique trop dure.

Au-delà de la haine, les femmes noires deviennent souvent les boucs émissaires de problèmes qu’on laisse impunis par ailleurs. Dans le cas de Dominique Ollivier, on pourrait argumenter que les exigences de la population eu égard aux dépenses publiques ont évolué et qu’elle a simplement payé le prix de nouvelles attentes sociétales. Soit. Mais pourquoi le timing tombe-t-il sur elle, spécifiquement ? Considérons aussi que de façon générale, les femmes noires sont moins protégées parce qu’elles n’ont pas le rapport de force en leur faveur.

Dominique Ollivier s’est fait clouer au pilori exactement au moment où on a appris que le gouvernement du Québec gaspillait de 5 à 7 millions pour la venue des Kings à Québec. On a un ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie qui se dit « pas achetable pour 100 $ », mais qui a été aux prises avec plusieurs enquêtes concernant son éthique, dont une conduisant à un blâme en 2020. Selon la commissaire à l’éthique, notre ministre responsable de l’Habitation a « favorisé de manière abusive les intérêts personnels de son amie ». Enfin, un ancien ministre de l’Immigration a affirmé que 80 % des immigrants ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise. Disqualifié ? Il est maintenant ministre du Travail !

Dans cette arène politico-médiatique où les gens sont disqualifiés à géométrie variable, c’est notre population qui perd les services de personnes compétentes comme Dominique Ollivier.

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