Bonne nouvelle : le Canada est la « 13plus meilleure » démocratie au monde, dirait Jean Chrétien avec son vocabulaire unique.

Chaque année, le magazine The Economist évalue l’état de la démocratie et de l’État de droit dans 167 pays. C’est un diagnostic fascinant et incroyablement important.

En 2023, le Canada est l’un de 24 pays qui se classent dans le groupe des « démocraties parfaites », la meilleure des quatre catégories du classement de The Economist publié jeudi dernier. Parmi les pays du G7, seule l’Allemagne (12rang) fait mieux que le Canada, qui a reculé d’un rang en 2023.

Le pays dirigé par Justin Trudeau obtient une note de 8,69 sur une échelle de 10, en légère baisse par rapport à 2022 (8,88). La note canadienne est très élevée pour le processus électoral (10), les droits et libertés de la personne (8,82) et la participation politique (8,89). Par contre, si on veut monter au classement, il faudra améliorer le fonctionnement du gouvernement (8,21) et la culture politique (7,50), qui se détériore à cause de la polarisation.

Quand on se compare à nos voisins du Sud, on se console : depuis 2016, les États-Unis sont une démocratie imparfaite (la deuxième catégorie sur quatre). Oui, il y a des élections libres aux États-Unis. Mais l’analyse de The Economist est plus poussée. Quand un des deux grands partis politiques ne reconnaît pas la validité des résultats électoraux, c’est signe d’une culture politique inquiétante (note de 6,25 sur 10 pour cet aspect).

En raison du climat de polarisation extrême, le gouvernement américain fonctionne aussi très mal. The Economist donne aux États-Unis une note de 6,43 sur 10 pour le fonctionnement de son gouvernement.

Imaginez : le Botswana (note de 6,79), un pays de 2,6 millions de personnes en Afrique, a un gouvernement plus fonctionnel que les États-Unis ! Des pays comme la Lituanie et la Lettonie arrivent ex æquo avec les États-Unis à ce chapitre.

PHOTO JOSE LUIS MAGANA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson. La polarisation est telle aux États-Unis qu’elle mine les institutions démocratiques, où on observe un « sectarisme politique » et « un blocage institutionnel quasi permanent », écrit The Economist.

La polarisation est telle aux États-Unis qu’elle mine les institutions démocratiques, où on observe un « sectarisme politique » et « un blocage institutionnel quasi permanent », écrit The Economist dans son rapport⁠1. Pour qu’une démocratie fonctionne, plusieurs partis politiques et courants de pensée doivent pouvoir coexister et surtout, il faut pouvoir offrir des solutions de rechange intéressantes aux électeurs, rappelle le magazine.

Plusieurs facteurs sont responsables de ce gâchis. Mais à mon avis, la grande responsable, c’est la droite américaine, qui vit dans un monde parallèle et qui est devenue allergique aux faits qui ne font pas son affaire.

Par exemple, la victoire électorale de Joe Biden en 2020. C’est un fait. Mais les mensonges des trumpistes collent chez leurs partisans. Au point où seulement 62 % des Américains pensent que Joe Biden a été élu de façon légitime (31 % des électeurs républicains, 66 % des indépendants et 91 % des démocrates, selon un sondage du Washington Post en décembre)⁠2.

Ce vent de polarisation qui souffle des États-Unis est en train de s’installer tranquillement au Canada, observe The Economist.

« La polarisation est devenue une caractéristique croissante de la politique canadienne, écrit The Economist. Ce fut particulièrement évident en 2023. Les tensions n’ont cessé de croître entre le gouvernement fédéral libéral et les provinces dirigées par les conservateurs. […] Les sujets de “guerre culturelle” à l’américaine ont pris une place plus importante dans le discours politique canadien, animant les débats sur les libertés individuelles – notamment sur les restrictions sanitaires durant la pandémie, le contrôle des armes à feu et, plus récemment, les droits des personnes transgenres et les droits parentaux. »

Autre exemple du climat de polarisation sur la scène fédérale : Pierre Poilievre se plaint de « l’agenda woke » de Justin Trudeau, tandis que M. Trudeau fait allusion à Donald Trump quand il parle de Pierre Poilievre pour tenter de le définir comme un « radical d’extrême droite », écrit The Economist.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Pierre Poilievre et Justin Trudeau

J’inscris ici ma courte dissidence : Pierre Poilievre et Justin Trudeau ne sont pas responsables à parts égales de la polarisation du discours politique. Le premier ministre n’est pas exempt de tout blâme. Mais c’est surtout M. Poilievre qui joue un jeu dangereux en important une partie importante du livre de jeu de la droite républicaine au Canada. Il le fait avec son ton hargneux, sa relation trouble avec les faits et ses attaques contre les médias (il a encore fait des siennes la semaine dernière en attaquant l’intégrité journalistique de La Presse Canadienne). Pour l’instant, ça n’a pas l’air de trop déranger les Canadiens, car M. Poilievre mène largement dans les sondages. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle pour la santé de notre démocratie.

Malgré cette nouvelle polarisation du discours politique – un phénomène dont Justin Trudeau s’est déjà inquiété en entrevue⁠3 –, nous sommes encore l’une des meilleures démocraties au monde.

Sauf que partout dans le monde, l’état de santé des démocraties se dégrade un peu. En 2015, la note moyenne de The Economist pour tous les pays était de 5,55. Cette note a diminué presque chaque année, pour s’établir à 5,23 en 2023.

Le Canada n’échappe pas à cette tendance, entre autres en raison de la polarisation.

En 2020, The Economist classait le Canada au quatrième rang des meilleures démocraties, avec une note de 9,24 sur 10. Mais la belle cohésion sociale du début de la pandémie est aujourd’hui chose du passé. En 2023, le Canada prend le 13rang, avec une note de 8,69. De 2006 (la première année du classement) à 2020, la note du Canada avait toujours été d’au moins 9,07.

Le Canada ne va clairement pas dans la bonne direction.

La méthodologie de The Economist

Pour être une démocratie, il faut évidemment tenir des élections libres. Mais The Economist évalue l’état de santé détaillé de la démocratie et de l’État de droit en se basant sur cinq critères (processus électoral, fonctionnement du gouvernement, participation politique, culture politique, libertés civiles). Il donne une note globale à chaque pays, qu’il classe en quatre catégories : les démocraties parfaites (note globale de 8 à 10), les démocraties imparfaites (de 6 à 8), les régimes hybrides (de 4 à 6) et les régimes autoritaires (de 0 à 4).

1. Consultez le rapport Democracy Index 2023 (en anglais) 2. Consultez le sondage du Washington Post (en anglais) 3. Lisez la chronique « Polarisation : j’espère que Justin Trudeau a raison… » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue
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  • 45,4 %
    Environ 45,4 % de la population mondiale vit dans une démocratie, soit 7,8 % dans une démocratie parfaite (ex. : Canada) et 37,6 % dans une démocratie imparfaite (ex. : États-Unis, Inde). Environ 15,2 % de la population vit dans un régime hybride (ex. : Mexique) et 39,4 %, dans un régime autoritaire (ex. : Russie). La Chine, qui compte 17,5 % de la population mondiale, est un régime autoritaire.
    source : The Economist