Février goûte un peu aigre-doux parce que même quand il fait froid, le racisme anti-noir ne prend pas de pause.

Le Mois de l’histoire des Noirs, à travers ses magnifiques activités, devrait être un mois de célébrations, de rapprochements, de ressourcement, n’est-ce pas ? J’y vis pourtant un melting-pot d’émotions contradictoires.

J’étais le porte-parole francophone du Mois de l’histoire des Noirs en 2021 quand a éclaté l’affaire Mamadi III Fara Camara. Le 28 janvier, des policiers du SPVM ont brutalisé M. Camara et l’ont arrêté. Accusé à tort de voies de fait graves sur un agent de la paix, de tentative de meurtre et d’avoir déchargé une arme à feu, M. Camara sera libéré après six jours de détention, puis disculpé.

En février 2021, ce scandale mettra les projecteurs sur le problème du profilage racial, d’autant que le jour même de l’arrestation de M. Camara, l’avocat Kwadwo D. Yeboah s’était fait menotter sans raison valable. Le tout devant sa fille. Comme porte-parole d’un mois qui se veut réjouissant, c’était dur d’avoir le cœur à la fête quand l’actualité était aussi brutale.

Un an auparavant, en Géorgie, le 23 février, Ahmaud Arbery, un homme noir de 25 ans, a été assassiné par trois hommes motivés par de la haine raciale, dont un policier retraité. M. Arbery faisait alors du jogging. Sa mort a fait partie de l’escalade d’indignation ayant précédé le meurtre de George Floyd, une tragédie à laquelle l’entreprise Band-Aid a répondu peu de temps après en offrant des pansements pour une variété de teints de peau. Un baume mince pour la profondeur de la plaie sociale.

Parce que le spectre d’un drame est toujours suspendu comme une épée de Damoclès, parce que l’instrumentalisation corporative menace les efforts d’émancipation noire, parce qu’on tourne trop facilement le dos aux personnes noires tuées par les forces policières, j’observe dans mon entourage que février débute avec un esprit mi-figue mi-raisin.

On m’accusera peut-être d’être mélodramatique, mais que dire d’autre quand les faits de cette année me donnent justement raison ?

Le 19 février dernier à Kitchener, en Ontario, Nicholas Nembhard⁠1, un homme noir de 31 ans, a été tué par balle lors d’une interaction avec la police. Selon son frère Andre, Nicholas Nembhard était atteint de schizophrénie et traversait une crise de santé mentale. Les policiers avaient été appelés à leur domicile pour l’aider.

Semble-t-il qu’au moment où la police a tué M. Nembhard, il portait un couteau, ce qui rappelle étrangement l’histoire de Jean René Junior Olivier, tué par la police de Repentigny en août 2021. Tout comme Andre, la mère de M. Olivier cherchait de l’aide pour son fils, mais il a plutôt fini dans un cercueil.

Certaines personnes diront que M. Nembhard représentait une menace dans les circonstances, que les policiers ont respecté leur protocole, que leur formation devrait un jour changer et que le racisme n’y était pour rien.

Il faudrait d’abord que ces personnes se rappellent qu’il y a à peine six ans, un autre homme noir appelé Nicholas, lui aussi en crise et portant un couteau, a été tué par la police à Montréal⁠2. Cinq balles tirées dans sa direction, les deux dernières alors qu’il tournait le dos. C’est ainsi que l’histoire se reproduit.

Sans même insister sur le fait que l’homme noir, et particulièrement l’homme noir en crise de santé mentale, est souvent de facto perçu comme une menace, j’aimerais aussi répondre que le laxisme institutionnel à l’égard de ces morts répétées est l’œuvre même du racisme.

À la confluence d’un ensemble de facteurs individuels, interindividuels et structurels, l’État traite certaines personnes avec une dignité moins qu’humaine. Dans les cas extrêmes, il les tue.

En ce Mois de l’histoire de Noirs, à travers les panels et les conférences qui me demandent de ne pas être trop casseux de party, la mort de Nicholas Nembhard est le deuil que je porte en ce moment. Cela exige une curieuse réconciliation. Reconnaître que l’histoire des Noirs est plus grande que le racisme tout en accueillant une terrible ironie : un homme noir ayant besoin d’aide a été tué par les forces de l’État durant le mois qui aurait dû célébrer cet homme.

Nicholas Nembhard devrait être sur toutes les lèvres. Nous devons imprimer son nom dans nos mémoires. Je considère que sa mort aux mains de l’État est un sujet d’importance nationale.

Pourtant, outre la CBC, CTV et une radio locale anglophone, aucun média francophone n’a couvert la nouvelle. Voilà une faillite dont je suis outré, mais que je ne saurais expliquer, autrement que d’affirmer que c’est indécent. Je sais toutefois qu’en laissant le problème de la violence policière dans l’invisibilité, on contribue à sa perpétuation. Et si on ferme les yeux devant le sort de Nicholas Nembhard, on détourne le regard de l’Histoire même qui se déroule devant nous.

Repose en paix, Nicholas.

J’offre aussi toutes mes condoléances à ses proches et aux communautés dans le deuil.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue 1. Consultez l'article de la CBC sur la mort de Nicholas Nembhard 2. Lisez l’article « Marche pour Nicholas Gibbs, un jeune homme noir abattu par le SPVM »