Cette semaine, une jeune adolescente est venue cogner à notre porte. Par souci de confidentialité et de respect pour elle, je préserve les détails de son histoire et m’en tiens au minimum. L’important pour moi dans ce récit est de soulever des questionnements sur nos interventions avec des jeunes en détresse.

Prétextant s’être perdue, elle demandait à recharger son téléphone pour retrouver son chemin.

La distinction entre nervosité contextuelle normale et hypervigilance traumatique est facilement perceptible pour moi. Son discours décousu sème aussi des doutes chez mon mari sur la véracité de son histoire. Comme nous avions des inquiétudes pour sa sécurité, j’ai choisi d’appeler le 9-1-1.

L’arrivée des policiers dans notre entrée a été suffisante pour accentuer son stress. Elle a pris la fuite dans notre champ. Mon premier contact avec elle me semblait avoir été bon, j’ai donc choisi d’aller la rejoindre seule.

L’écouter, simplement. Écouter l’émotion. Son discours initialement chaotique m’importait peu. Décoder le vrai du faux n’était pas important. L’important était son corps et ses émotions.

Alors qu’elle reculait en me mentionnant qu’elle ne voulait voir personne et que si on s’approchait, elle n’aurait pas le choix de partir, sans chercher à la convaincre de quoi que ce soit, je lui ai dit « OK, c’est correct, je reste loin. Je vois que ça ne va vraiment pas, toi, hein ? » Elle a éclaté en pleurs en hochant la tête.

J’ai senti que je pouvais m’approcher en lui assurant que j’étais seule. Je suis restée en mode écoute en reformulant ce qu’elle me disait pour m’assurer qu’elle se sente comprise et validée.

En bref, il n’aura fallu que quelques « Je vois que ça ne va vraiment pas bien pour toi en ce moment », « OK, tu ne veux pas voir la police », « Oui, il se passe quelque chose de difficile pour toi », « Je vois que là, tu as besoin d’être tranquille », « Je vois que tu n’en peux plus de tout ça », « Oui, tu as vécu des choses difficiles », « Oui, c’est beaucoup trop pour toi en ce moment, tu n’en peux plus » pour que l’adolescente pleure à chaudes larmes pendant plus qu’une heure en me racontant son histoire. Seulement cette écoute empathique pour qu’un lien de confiance s’installe entre elle et moi. Pour qu’elle se vide le cœur. Pour que sa tension se relâche, petit à petit. Pour que ses yeux m’envoient le reflet d’un « enfin, quelqu’un me comprend ». Pour qu’une crise de panique se déclenche en ma présence suffisamment rassurante pour que nous puissions respirer ensemble dans un environnement sécuritaire, exempt de tout jugement et pression.

J’ai passé trois heures trente avec elle en tout. Les policiers ont été si ouverts et m’ont fait confiance. Merci. Je l’ai reconduite à son centre, escortée par la police. Sans quoi, elle aurait été amenée au poste pour attendre longuement la DPJ !

Le personnel du centre jeunesse ne m’a même pas posé de questions. Ils ne savent rien de la détresse qu’elle venait de vivre. J’ai été consternée par cet accueil. Et par la froideur dont a fait preuve l’éducatrice en refusant catégoriquement un câlin qu’a demandé à deux reprises l’adolescente — elle qui en avait tant besoin, je le sais puisqu’elle me l’avait confié.

Son passage me laisse complètement impuissante, dégoûtée, en colère et triste de notre système. Je le vois, cette adolescente n’aura pas le soutien dont elle a besoin. Je le sais que notre système fonctionne au rythme des conséquences et des restrictions.

Son vécu, je n’en connais que des bribes, mais bien assez pour comprendre et ressentir la profondeur de ses traumatismes.

Nous, comme société, préférons voir que l’adolescente EST un problème. Qu’elle est menteuse, qu’elle est indigne de confiance, qu’elle doit être redressée, corrigée, punie, qu’elle a un trouble d’adaptation, qu’elle cherche l’attention… Nous chercherons à la raisonner et à modifier ses comportements. Parce qu’écouter, simplement, c’est vachement difficile. Et qu’on ne nous forme pas à cela.

Ses comportements qui sont en réalité des réponses post-traumatiques normales conséquentes à la violence, à l’abandon, à la négligence et à l’intimidation qu’elle a vécus. C’est pourtant si évident dans ses comportements, dans son langage corporel, dans son regard. Pourquoi lui laisser croire que c’est elle, le problème ?

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