Le scandale du soldat nazi a profondément secoué le monde politique canadien, fait rapidement le tour médiatique de la planète et causé la démission du président de la Chambre des communes. Quelques clés pour mieux comprendre.

Le contexte historique

En 1939, la Galicie appartient à la Pologne. En fait, elle est sous administration polonaise depuis cinq siècles et n’a jamais été gouvernée par Moscou. En septembre, l’URSS s’empare de la Galicie (ainsi que des pays baltes). Ce sera la terreur pendant près de deux ans : destruction de la société civile et politique, arrestations, déportations. En juin 1941, l’Allemagne envahit l’URSS et occupe la Galicie. Ce que craint le plus le mouvement national ukrainien est le retour du pouvoir soviétique.

La Shoah et les crimes de guerre

Le fer de lance de ce mouvement national est l’Organisation des Ukrainiens nationalistes (OUN), un groupe d’extrême droite, le seul ayant survécu, en résistance souterraine, à l’occupation soviétique qui avait éliminé tous les autres partis politiques. En 1941, l’OUN est impliquée dans des pogroms contre la population juive. Par la suite, certains de ses membres se joindront à la police allemande. C’est une page sombre dans l’histoire ukrainienne. La recherche sur ces questions a fait une avancée considérable depuis une vingtaine d’années, même en Ukraine.

La division Waffen-SS Galicie

En 1943, après la bataille de Stalingrad, les pertes militaires allemandes sont considérables. Le régime nazi recrute, ou enrôle de force, des recrues qui ne sont pas du Reich. Cela se fait surtout dans une armée parallèle, celle des SS, la police de la terreur. Les divisions Waffen-SS ont une double fonction : combattre au front, mais aussi s’attaquer aux civils en représailles contre la résistance. En Galicie, les jeunes hommes ukrainiens ont quatre options : se terrer, risquer de se faire expulser en Allemagne pour le travail forcé dans des conditions horribles, se joindre à la résistance ukrainienne (OUN) ou se porter volontaire dans cette nouvelle division Galicie. Des dizaines de milliers optent pour cette armée SS, dont Yaroslav Hunka, alors âgé de 18 ans. Les gens comme lui disent vouloir combattre la Russie.

Responsabilité légale

Le tribunal de Nuremberg en 1945 déclare la SS comme une organisation criminelle, mais la responsabilité juridique reste individuelle. La cour doit prouver qu’un individu a commis des crimes de guerre. La division Galicie, qui n’a été active qu’à partir du début de 1944, n’a pu être impliquée dans la Shoah (Holocauste), puisque l’extermination de la population juive de Galicie s’était achevée en 1943. Il y a eu un massacre dans un village polonais de Galicie en 1944, mais les unités ukrainiennes responsables n’étaient pas encore rattachées à la division. Cette division a été pratiquement anéantie lors de la bataille de Brody (près de Lviv) en juin 1944. Peu ont survécu, dont M. Hunka. La plupart des ex-membres de la division qui ont immigré au Canada dans les années 1950 étaient issus d’une division reconstituée qui n’a pas opéré en Ukraine.

Responsabilité éthique et politique

Le nœud du problème est que les volontaires comme M. Hunka ont combattu dans un uniforme Waffen-SS, la branche militaire de la SS, la plus grande organisation criminelle des temps modernes, chargée de l’extermination de la population juive d’Ukraine et d’Europe (la Shoah). Le contexte historique ne peut justifier le choix éthique de se joindre à une unité SS et il est à la source de la grande douleur historique dans la mémoire juive envers les forces ukrainiennes d’alors. Cela explique la grande indignation de l’hommage à M. Hunka.

La désinformation de la Russie

Depuis 2022, la Russie dit vouloir « dénazifier » l’Ukraine. L’affirmation est absurde, mais elle trouve sa source dans la propagande soviétique d’alors qui présente l’idée même d’une nation ukrainienne distincte de la Russie comme fasciste. Les « nazis » de 2022-2023 sont ainsi tous les Ukrainiens qui luttent pour la survie de leur État, soit l’appareil gouvernemental, l’armée, la société civile. Le fait que de jeunes Ukrainiens ont fait le choix inexcusable de servir dans une unité SS ne change rien au délire de la propagande russe d’aujourd’hui.

La responsabilité canadienne

Il n’y aura pas d’incidence sérieuse sur le soutien du Canada envers l’Ukraine pour contrer l’agression de la Russie. L’opinion publique et la classe politique font la différence entre des évènements sombres d’il y a 80 ans et la guerre de Poutine qui menace l’ordre international. M. Rota, de toute évidence, n’avait pas consulté le Congrès ukrainien canadien, l’institution nationale de la diaspora ukrainienne. Il s’agissait d’une invitation à un électeur de sa circonscription. Il en a payé le prix politique. Le niveau d’improvisation qui a mené à cet incident est gênant. Mais la solidarité avec la lutte existentielle des Ukrainiens demeure.

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