Hassène Kassar est loin d’être le seul à prendre la défense du nouveau président. En juin dernier, un sondage révélait que 56 % des Tunisiens sont satisfaits de son rendement.

« Quand Saïed a été élu, beaucoup de gens étaient contents, et moi aussi », me dit une célèbre chorégraphe tunisienne, Nawel Skandrani, impliquée depuis longtemps dans le milieu des arts de la Tunisie.

« Je l’ai soutenu surtout parce que c’était quelqu’un d’honnête, raconte-t-elle. Et jusqu’à nouvel ordre, on peut critiquer beaucoup de choses chez lui, mais il a prouvé qu’il est honnête et qu’il n’est pas venu pour manger le pays comme l’ont fait les autres. Tous les autres présidents depuis Bourguiba [au pouvoir de 1957 à 1987] ont bouffé tout ce qu’ils pouvaient. Eux et leurs clans, leurs familles. »

Là où Hassène Kassar me parlait d’un passage obligé, elle utilise le mot « rééquilibrage ». Et elle estime que le président Kaïs Saïed « combat le vrai mal de ce pays, qui est la corruption ».

Elle convient qu’il y a « par-ci, par-là » ce qu’elle qualifie de « grignotage de la démocratie ».

« Mais il y a une société civile qui résiste. Et la société civile tunisienne a toujours été extrêmement vigilante », prend-elle soin d’ajouter. On a pu le constater, en effet, lorsque les islamistes étaient au pouvoir.

Il me semble clair que cette vigilance continuera d’être mise à l’épreuve au cours des prochains mois et des prochaines années.

Je n’irai pas prétendre que je sais ce que l’avenir réserve à la démocratie tunisienne.

Mais ce qui se passe actuellement me semble correspondre à l’analyse des politologues américains Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, deux spécialistes de la mort des démocraties.

Il y a quelques années, ils ont expliqué dans un essai instructif que les coups d’État en bonne et due forme ne sont plus en vogue. La nouvelle tendance (en Tunisie comme dans bien d’autres pays) est plus insidieuse. Aujourd’hui, les lumières des démocraties s’éteignent lorsque des dirigeants « corrompent le processus même qui les a portés au pouvoir ».

Et le fait est que le régime auquel on a soumis la démocratie tunisienne, depuis le coup de force du président Saïed en 2021, l’a fragilisée. Elle me semble tenir avec de la broche.

« Aujourd’hui, les Tunisiens ont quasiment rejeté la démocratie représentative, parce qu’ils estiment qu’elle n’a rien amené, qu’elle a été menée par des corrompus et qu’en fin de compte, la solution, c’est un pouvoir central qui décide de tout », m’a lancé le journaliste Elyes Gharbi, animateur vedette de la station de radio Mosaïque FM, quand je l’ai interviewé.

Pourtant, comme bien d’autres depuis la révolution de 2011, il refuse de baisser les bras devant ce nouvel obstacle.

En fait, il s’est déjà retroussé les manches. « C’est donc à nous de faire notre job. De convaincre les Tunisiens que la démocratie pourrait être source de bien-être et de richesse ! »

L’avenir de la démocratie dans son pays dépendra probablement, en effet, de la vigueur avec laquelle on la défendra.

Et comme la Tunisie est loin d’être le seul pays où la démocratie passe un mauvais quart d’heure, l’issue de cette lutte et les façons dont elle aura été menée vont certainement avoir des échos bien au-delà de ses frontières.