Mon hôtel à Tunis est situé sur l’avenue Hédi-Nouira, dans le quartier Ennasr, dans le nord de la ville.

Je vous raconte ça parce qu’il y a dix ans, un politicien de gauche, Chokri Belaïd, a été assassiné par des islamistes « à deux pas » d’où je me trouve.

C’est Jounaïdi Abdeljaoued qui me l’apprend. Cet opposant politique octogénaire me raconte en long et en large, devant un café, l’histoire politique tunisienne des dernières décennies.

Le meurtre de Chokri Belaïd n’est pas un évènement anodin. C’est l’un des symboles du dérapage de la Tunisie lorsque des politiciens islamistes dominaient le pays. Après la révolution de 2011, ils sont rapidement devenus la première force politique (comme ce fut aussi le cas en Égypte).

PHOTO ALEXANDRE SIROIS, LA PRESSE

L’opposant politique tunisien Jounaidi Abdeljaoued

Le pays a dû faire face à une vague de violences islamistes, dont des attentats spectaculaires et sanglants en 2015.

Je n’écrirai pas ici l’histoire de tout ce qui s’est passé depuis. L’important est de souligner que même si la force politique des islamistes s’est atténuée au Parlement à partir de 2014, la situation politique – et économique – est demeurée désolante.

« Les gens en avaient marre. Les partis ont perdu toute crédibilité auprès du peuple. C’est comme ça qu’il y a eu l’élection de Kaïs Saïed », résume Jounaïdi Abdeljaoued, qui reproche aux politiciens progressistes de n’avoir jamais uni leurs forces pour le bien du pays.

Ce qui se passe aujourd’hui, c’est pour lui « la conséquence de dix ans de mauvaises pratiques ».

La conséquence, il me semble bien, d’un dysfonctionnement de la démocratie tunisienne.

Y compris un problème d’inégalités majeur – et structurel – auquel les élus ne s’attaquent pas.

« Nous vivons dans un pays où les droits économiques ne sont pas égaux et il ne peut pas y avoir de démocratie sans droits économiques égaux », me dit, en fumant la chicha, Houssem Saâd, de l’Association de lutte contre l’économie de rente en Tunisie (ALERT), fondée il y a deux ans dans l’espoir de faire changer les choses.

La victoire de Kaïs Saïed en 2019 a été accueillie avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il faisait face au deuxième tour à un homme d’affaires qui, dans l’opinion publique, « représentait un peu la mafia, la corruption », estime Jounaïdi Abdeljaoued. Un constat qui est revenu souvent lors de mes discussions en Tunisie.

Kaïs Saïed se présentait comme le candidat « propre ». Et celui, aussi, qui allait mettre un peu d’ordre dans la maison tunisienne, où la démocratie n’avait pas encore permis d’atteindre la stabilité sur le plan politique.