Notre collaboratrice, ancienne journaliste à La Presse, a fait plus d’une dizaine de reportages au Proche-Orient entre 1995 et 2012. Y compris dans la bande de Gaza, où elle a séjourné à sept reprises.

Nous sommes au printemps 2002, et le chef du Hamas, Abdel Aziz al-Rantissi, nous sert le thé dans sa modeste maison de Gaza. Ce pédiatre de 52 ans est un homme affable. Ça ne l’empêche pas de dire ce qu’il pense.

La deuxième intifada bat son plein et le Hamas multiplie les attentats terroristes contre les civils en Israël. Mais pour le DRantissi, il ne s’agit pas de civils : les Israéliens sont tous des soldats, puisqu’ils occupent l’ancienne Palestine que sa famille avait dû fuir en 1948.

Lui-même n’hésiterait pas à sacrifier ses deux fils s’ils voulaient devenir des « martyrs », assure-t-il. La scène est surréelle. Ses deux garçons, dans la jeune vingtaine, opinent en signe d’assentiment.

Saut vers septembre 2011 : les printemps arabes font des vagues jusque dans la bande de Gaza où le Hamas règne d’une main de fer depuis quatre ans. De jeunes Gazaouis se mettent à rêver. J’en rencontre deux, Hani et Omar, dans un café de Gaza.

« Les explosions et la mort, c’est assez, nous voulons nous battre de façon positive en faveur d’un État indépendant », confie Hani. Puis il ajoute, indigné : « Le Hamas a besoin de sang, il a besoin d’entretenir un climat de guerre et il a besoin de l’État de siège. »

Hani et Omar veulent sortir du cercle vicieux d’attaques et de représailles. Ils espèrent que l’ONU accueillera positivement la demande de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, de reconnaître la Palestine. Un tel déblocage international, imaginent-ils, permettrait de mettre fin à l’engrenage de la violence.

PHOTO TYLER HICKS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des Palestiniens sont assis près de la maison de Mahmoud Zahar, un haut dirigeant du Hamas, après qu’elle eut été détruite par une frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza, le 16 juillet 2014.

Quelques jours plus tard, je rencontre le numéro 2 du Hamas, Mahmoud Zahar. « Pour nous, la reconnaissance de la Palestine équivaudrait à reconnaître de facto Israël », tranche-t-il. Et ça, pour Mahmoud Zahar, ça n’arrivera jamais. Le mieux que le Hamas puisse consentir, ce sont des trêves de longue durée, 10 ans au plus.

Devant l’horreur indicible du massacre du 7 octobre, je me suis replongée dans les reportages que j’ai réalisés dans la bande de Gaza sur une période de 17 ans.

PHOTO J. DAVID AKE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président américain Bill Clinton se tient entre le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le chef de l’OLP Yasser Arafat après la signature des accords historiques d’Oslo, en 1993.

De mon premier séjour, en janvier 1995, huit mois après que Yasser Arafat est rentré d’exil dans la foulée des accords de paix israélo-palestiniens, j’ai gardé l’image d’une marmite sous pression dont les valves de sécurité étaient contrôlées par Israël. L’expression n’était pas de moi, mais de Hanane Ashraoui, porte-parole de l’équipe palestinienne aux négociations de paix que j’avais rencontrée à l’époque.

Un million de personnes enfermées dans une enclave moins grande que l’île de Montréal. Huit mois après le retour d’Arafat, c’était la déception. À l’interne, il y avait du népotisme, une dérive autoritaire aussi. En même temps, Israël tenait les valves de la marmite bien serrées.

Établi dans la bande de Gaza depuis 1987, le Hamas organisait alors ses premiers attentats visant à faire dérailler le processus de paix, qui était aussi rejeté par une partie de la droite israélienne. Les deux extrêmes se nourrissaient mutuellement.

D’ailleurs, le Hamas a pu compter, à ses débuts, sur le soutien discret d’Israël qui voulait ainsi affaiblir Yasser Arafat… Puis sur celui de la droite israélienne qui voyait dans le Hamas un moyen pour empêcher la création d’un État palestinien.

En 2005, Israël évacue ses colons de Gaza en serrant bien le verrou derrière lui, et en accélérant la colonisation juive en Cisjordanie. En 2006, les Gazaouis votent pour le Hamas qui leur promet un « bon gouvernement ».

Au lieu de ça, ils sont plongés dans une guerre fratricide qui oppose le Hamas au Fatah, le parti de Mahmoud Abbas qui a remporté le vote en Cisjordanie. Le conflit aboutit à un divorce : Gaza reste sous la coupe du Hamas, isolé du reste de la Palestine. Le cycle d’attaques du Hamas suivies de représailles israéliennes se met en place.

Pendant toutes ces années, j’ai rencontré dans la bande de Gaza des gens qui rêvaient d’une vie normale, des agriculteurs qui espéraient exporter leurs tomates, mais se heurtaient au blocus israélien, des filles qui rêvaient d’exercer des métiers non traditionnels comme cinéaste ou nageuse, des hommes persécutés parce qu’ils avaient autrefois travaillé pour le Fatah.

J’ai parlé avec des gens qui blâmaient le Hamas pour ses attaques aux roquettes, mais dont la colère, après les bombardements israéliens, se tournait contre l’État hébreu.

Avec des jeunes qui n’avaient jamais rencontré d’Israéliens de leur vie et en avaient une image caricaturale. Un jour, un homme m’a raconté qu’alors qu’il discutait avec un collègue israélien sur Skype, sa fille a accouru pour voir à quoi ressemblait un Juif. Elle était surprise qu’il n’ait pas de fusil.

PHOTO FRANCISCO SECO, ASSOCIATED PRESS

Des proches pleurent la mort d’un soldat israélien dans un cimetière de Jérusalem, jeudi.

Au fil des ans, la population de la bande de Gaza a plus que doublé. Les conditions de vie n’ont cessé de se détériorer. Coincés entre un gouvernement israélien qui a mis toute velléité de paix de côté et le Hamas qui n’en a jamais voulu, les habitants de Gaza se sont radicalisés. Après la guerre de 2012, la dernière que j’ai couverte sur le terrain, Hani, le jeune pacifiste, me parlait de « l’âge d’or de la résistance palestinienne… ».

La bande de Gaza est un océan de nitroglycérine, m’avait dit un jour la journaliste israélienne Amira Hass, qui a vécu trois ans sur ce territoire et en a tiré un livre magnifique, Boire la mer à Gaza.

La détresse est un puissant explosif. Surtout quand, en Israël et dans la bande de Gaza, des factions extrêmes détiennent le pouvoir et jouent avec le feu.

Dans une version précédente de cette lettre, l'auteure indiquait que le chef du Hamas, Abdel Aziz al-Rantissi, a fuit l'ancienne Palestine alors qu'il était enfant. Or, c'est sa famille qui pris la fuite. Nos excuses.

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