Il faudra bien trouver une sortie de crise. Et pour ce faire, il faudra bien faire des compromis des deux côtés. Cette idée est largement répandue. Mais de quels compromis parle-t-on ? Pourquoi traite-t-on le combat mené pas les enseignants et enseignantes comme une querelle de cour de récréation ?

Depuis plus de 20 ans, année après année, convention collective après convention collective, nos conditions de vie se détériorent dans les écoles. Tous les compromis qui pouvaient être faits l’ont été.

Nous avons depuis belle lurette mis une croix sur des budgets décents pour nous procurer du matériel pédagogique. Il est de notoriété publique que les enseignants et les parents pigent dans leurs poches pour créer un environnement décent pour les élèves et leur fournir le matériel dont ils ont besoin pour vivre dans une classe stimulante.

Nous avons aussi renoncé aux services offerts aux élèves en difficulté. Je relisais un texte publié le 9 avril 2020 dans La Presse dans lequel j’affirmais : « Alors que nous commençons à apercevoir la lumière au bout du tunnel et qu’il apparaît maintenant évident que nos médecins n’auront pas à choisir quel patient ils doivent sauver, les enseignantes, elles, doivent choisir quels élèves ils devront sacrifier à la rentrée scolaire. »

Je suis immensément triste de constater que, depuis, nous en avons pris l’habitude.

Chaque printemps, quand vient le temps pour notre école de décider quelles ressources seront embauchées pour soutenir les élèves en difficulté l’année suivante, nous sacrifions des élèves.

Nous n’avons pas les moyens de toutes et tous les soutenir. Alors nous alternons. Une année, nous bonifions un peu l’offre d’orthopédagogie, faisant le constat que l’année précédente a été désastreuse. La suivante, nous privilégions l’embauche d’une éducatrice spécialisée à temps partiel… parce l’année précédente a été catastrophique ! Une seule constante : peu importe la gymnastique, voire la souplesse dont nous faisons preuve, les ressources sont insuffisantes autant pour nos élèves en difficulté d’apprentissage que de comportement.

Et si seulement nous pouvions orienter nos élèves en trop grande difficulté vers des ressources spécialisées ? Mais c’est impossible. Les listes d’attente sont tellement longues que quand nous avons beaucoup de chance, nous réussissons à les faire admettre dans une classe ou une école spéciale avant la fin de leur primaire. La plupart du temps, il ne se passe rien avant le secondaire.

Sur quoi d’autre pourrions-nous faire davantage de compromis ? Nos salaires ? Après six ans de métier, une enseignante montréalaise gagne actuellement 54 281 $ de moins qu’un policier montréalais ayant la même expérience.

Ce calcul exclut les primes pour la patrouille (1 à 2 %) et les heures supplémentaires. Pour le policier, évidemment. En enseignement, tout le monde sait (et accepte !) que les heures supplémentaires obligatoires ne sont jamais rémunérées. Résultat : 50 % des enseignants quittent le métier au cours des cinq premières années. Il ne s’agit pas d’une pénurie. Il s’agit d’une désertion.

Alors, s’il vous plaît, arrêtons de jouer dans le film paternaliste du gouvernement Legault. Arrêtons de traiter la bataille que nous menons à bout de bras comme une simple chicane entre Mélanie Hubert et Sonia Lebel.

La lutte menée par les enseignantes actuellement se réglera par une réelle amélioration de notre système d’éducation québécois, ou par son effondrement définitif. Je vois mal ce qu’on peut compromettre de plus !