Terres de feu. Terres à feu et à sang. Terres sacrées et soufflées par une empreinte d’éternité. Terres exclusives et ancestrales, reconduites et vénérées depuis et par des générations. Terres d’accueil et de recueil, de rassemblements et de tiraillements. Terres célébrées, éclatées, déchirées, tuées.

L’année 2023 a tiré sa révérence sur fond d’orage, alors qu’un nombre incalculable de Palestiniens et Palestiennes et d’Israéliens et Israéliennes ont rencontré l’horreur, perdu des amis chers, frôlé la mort, trempé leurs mains ensanglantées au cœur d’un destin sans nom.

Ce qui se passe là-bas nous touche ici, dans nos salles de classe, sur les trottoirs pluvieux et tristes de nos villes, dans les corridors pressés et méfiants de nos universités, dans l’obscurité de nos mots et le bruit de nos silences.

Comment construire des espaces citoyens dans le dialogue, l’empathie et la bienveillance ? Comment transformer la haine en rencontre émancipatrice ? Comment voir l’autre en nous ? Comment nous incarner à travers l’autre ? Comment agir concrètement en faveur de la paix ?

À l’aube de cette année 2024 qui s’impose comme une promesse, alors que les images meurtries de Gaza et celles toujours vives de Re’im circulent en boucle, alors que la violence ne parvient plus à se contenir, mais se propage effrontément, alors que les corps morts s’empilent et se déshumanisent, nous pouvons et devons apprendre à nous parler. Où que nous soyons. Malgré la peur. En raison d’elle.

Enseignons le droit international humanitaire, même aux enfants. Utilisons le savoir pour communiquer. Vulgarisons les connaissances pour créer des liens. Partageons nos vérités. Osons remettre en question nos certitudes. Prenons des risques en posant les questions difficiles, celles du sacré, de l’appartenance, de l’exclusivité, de l’irrévocabilité, de la pureté. Traçons les couleurs primaires à coups de pinceaux doubles, triples, sur un tableau vierge à garnir et à découvrir ensemble. Ne laissons personne derrière.

Je suis de retour dans l’enceinte universitaire après un exil de cinq ans. J’y ai rapidement retrouvé, comme si elle m’attendait, nue et rieuse, souveraine et indomptable, la liberté. Liberté de penser, d’exprimer, de dire, d’écrire, de taire. Liberté, aussi, surtout, de rêver, d’imaginer, de nourrir un monde meilleur par la pensée critique et par l’action. J’ai beaucoup écrit sur la religion et le droit, sur l’impossibilité presque désarmante de transplanter les règles étrangères en territoire national sans en altérer le contenu et la signification, comme une rencontre qui en fait naître une autre. J’ai beaucoup réfléchi à l’identité, à son caractère romantique et rassembleur, mais aussi à sa capacité de diviser et d’exclure. J’ai beaucoup lu sur le devoir de mémoire, sur la volonté de combattre l’oubli, sur le sacrifice réel ou appréhendé de la nation.

Avec humilité, j’ai souvent opté pour la force inouïe du présent et sa trame narrative encore inexplorée, comme un phare érigé au milieu des eaux qui peut éclairer ou assombrir, guider ou délaisser, selon la fonction qu’on lui réserve. L’auteur israélien Amos Oz ne disait-il pas : « À côté d’une obligation du souvenir, n’y a-t-il pas également un droit à l’oubli ? »

Imaginons, donc, exigeons, même, un avenir différent du passé, en nous ancrant dans un présent qui propulse et qui dresse des ponts. Pour cela, bien sûr, le droit international humanitaire devra retrouver ses lettres de noblesse.

À l’heure de l’islamophobie et de l’antisémitisme rampants, alors que les caméras projettent dans nos salons un déchirement sans précédent qui se déploie jusque dans les capitales du monde, nous pouvons et devons apprendre à nous apprivoiser. Où que nous soyons. Malgré la différence. En raison d’elle.

Utilisons la cité universitaire pour renouveler cette rencontre, pour souligner ce qui nous unit, pour complexifier le récit identitaire et religieux, pour créer une humanité commune dans laquelle nos ombres multiples se découvrent par un jeu de lumière empreint de courage et de liberté.

À l’instar de l’association des étudiants juifs et de l’association des étudiants musulmans de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, dont la publication d’un manuscrit commun a fait état d’un leadership exemplaire au pays, reconnaissons que « les vies de personnes juives et de personnes musulmanes sont d’égale valeur et importance, et que chaque vie perdue est tragique et représente en soi une histoire et une famille, entraînant un cercle entier de personnes dans le deuil ». Ne laissons pas la haine nous diviser.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue