Le déficit d’attention dont souffrent nos étudiants et étudiantes aujourd’hui est largement documenté. Il se heurte à un modèle un peu archaïque, celui du cégep, qui est proche de l’usine où nous convoquons, même en région, des étudiants à 8 h le matin pour des cours de 3 heures alors que leur cerveau continue de se développer dans les bras de Morphée.

C’est une curieuse mise en abîme qui se produit quand je leur parle de Michel Foucault, de la caserne, des hôpitaux et de ses emplois du temps, du biopouvoir et de sa dynamique contraignante. C’est sans oublier que leur présence au monde est égayée d’un écran, celui de leur téléphone ou de leur ordinateur, c’est selon (parfois les deux en même temps !) et où un enseignant devient littéralement un fond d’écran.

Outre des images en abondance (films, réseaux sociaux), il y a le son qui passe par le port d’écouteurs (discrets ou non, c’est parfois un casque d’écoute avec réducteur de bruit !) qui distillent la trame sonore de leur vie, réduisant mon rôle à celui de mime.

Le plus charmant est lorsque les étudiants ôtent un écouteur par politesse quand ils ou elles me posent une question pour signifier une soudaine prise de conscience, un bref retour au réel. Pas certain que c’est ce qu’Arendt entendait par assurer la continuité du monde. Comment alors bien enseigner dans ces conditions ? Pourquoi ne pas interdire tous ces objets au niveau collégial, me direz-vous ? Non, la voie pédagogique suggérée par des spécialistes est souvent celle du divertissement. Rivaliser avec lui en l’imitant. Que puis-je apprendre du divertissement, en l’occurrence du cinéma, que je pourrai intégrer dans mes cours afin que je puisse moi aussi capturer leur attention pendant trois heures ?

Trois modèles

Je retiendrais, ici, trois modèles de films longs et qui ont été des succès financiers à leur échelle : le modèle Oppenheimer, Barbie et Mission : impossible 7. Le premier est sans doute le plus ardu et celui qui s’apparente le plus à un cours magistral sur le « père » de la bombe atomique où l’on mélange noir et blanc et couleur afin de moduler la perspective du protagoniste. L’ensemble est assez verbeux, Christopher Nolan, le réalisateur, dit souvent qu’il faut faire confiance à l’intelligence du spectateur. C’est un modèle risqué, volubile où les allers-retours temporels sont difficiles à recréer dans un cours. En revanche, j’ai déjà l’impression que les étudiants me voient en noir et blanc, je suis donc à mi-chemin.

PHOTO MELINDA SUE GORDON, FOURNIE PAR UNIVERSAL PICTURES

« J’ai déjà l’impression que les étudiants me voient en noir et blanc », écrit l’auteur. Sur la photo : Robert Downey Jr. dans une scène du film Oppenheimer.

Le second est le modèle Barbie, une fable un peu lourde (soyons francs !) sur le patriarcat qui maîtrise parfaitement l’art de redire la même chose de 10 façons pas si différentes. Celui aussi qui s’adresse à un public délibérément et commercialement large (le fameux 7 à 77 ans). Dans ce cas-ci, la redondance a vraiment des vertus pédagogiques, mais l’utilisation d’artifices comme la danse ou le chant en classe m’obligerait à me transformer en ministre de l’Éducation et je ne veux vraiment pas aller là.

Finalement, le dernier, les aventures d’Ethan Hunt (volume 7) est sans doute le canevas le mieux adapté à un public qui souffre de déficit d’attention.

Ce film réussit en effet l’exploit d’être présenté dans son entièreté dans un générique d’ouverture et peut être compris par n’importe qui, qu’il soit présent ou absent de la salle. Il fonctionne essentiellement comme un modèle algorithmique qui condense le propos pour le résumer visuellement et oralement, jouant à la fois le rôle d’acteur et d’oracle. Un film sur l’intelligence artificielle, probablement écrit par l’intelligence artificielle, qui nous montre tout ce qu’il va se passer : générique d’ouverture sur fond musical qui montre tout ce qui s’en vient, présentation orale du synopsis et des actions attendues des personnages version TED Talk puis mise en place des scènes d’action sous la métaphore d’un jeu de Tetris humain. Et pour ne pas conclure, le film vous annonce une suite pour que l’on soit certain de se revoir. Des trois modèles choisis, c’est celui qui optimiserait mon travail, des trois c’est celui qui a rapporté le moins d’argent, mais des trois c’est le seul qui en appelle clairement à une impossibilité.

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