Nous avons appris le 19 janvier qu’un projet de loi serait déposé pour permettre la vente d’électricité entre entreprises privées. Hydro-Québec s’est exprimée sur ce changement : elle dit être souple, pourvu que cela ne cause pas de problèmes quant à la sécurité énergétique, que cela bénéficie à tout le monde et qu’il n’y ait pas d’impacts sur les tarifs. Et l’environnement, dans tout ça ?

Dans ma carrière d’ichtyologiste, j’ai pu analyser les impacts sur le milieu aquatique et les populations de poissons d’immenses projets hydroélectriques et de plus petites productions. En général, les petites productions (minicentrales) ont bien plus d’impact localement que les gros projets. Pourquoi ? Simplement expliqué, c’est que les grands milieux récepteurs des gros projets ont plus de résilience et d’inertie face à des perturbations que les plus petits.

Je ne parle pas ici des superficies touchées, mais bien de l’intensité des effets négatifs. Les petits cours d’eau sont très fragiles. L’inversement du régime hydrologique causé par la production d’hydroélectricité peut entraîner des conséquences graves sur la dynamique et le succès de reproduction des poissons, malgré les moyens d’atténuation en place. C’est ce que j’ai observé souvent en 40 ans de pratique. Pourquoi croyez-vous qu’il y a si peu de minicentrales en service présentement ?

Selon les conditions du permis d’exploitation, toute centrale en service doit être gérée de manière à réduire ses impacts en environnement. Un des moyens d’atténuation, le « débit réservé », vise à éviter que les poissons affrontent des conditions néfastes au moment d’aller se reproduire. Le problème, avec tous les extrêmes climatiques que nous subissons présentement, est que plusieurs petits cours d’eau n’ont pas assez d’inertie pour que ce volume d’eau soit fourni au moment opportun sans conséquence sur la production d’électricité.

Il m’est arrivé d’étudier la fraie des poissons au printemps en aval d’une minicentrale et de trouver la frayère tout à fait à sec, avec quelques œufs viables sous les roches humides ! Je n’ai jamais observé cela durant le suivi des impacts de grands projets hydroélectriques.

Mais il n’y a pas que les impacts in situ qui m’inquiètent. L’absence d’une culture environnementale véritable, concrète et bien ancrée dans les processus de décision dans la gestion de petits projets hydroélectriques est préoccupante. J’ai eu la chance de participer à de nombreuses études de caractérisation (en état de référence, durant la construction et en exploitation) des communautés et fonctions d’habitat des poissons pour Hydro-Québec, entre autres.

Ces suivis permettent d’évaluer l’efficacité des moyens d’atténuation et de mitigation pour réduire le bilan des impacts en environnement et, le cas échéant, d’apporter les modifications pour améliorer leur performance. Mon constat général est que cette culture est profondément ancrée chez les conseillers et chargés de projets d’Hydro-Québec. J’ai toujours senti une très bonne écoute et une excellente réceptivité de leur part. Je ne peux pas en dire autant des producteurs privés avec lesquels j’ai travaillé. Pas tous, bien entendu, mais plusieurs !

Comparer des pommes avec des pommes

Sous une structure décisionnelle moins lourde, les petites productions hydroélectriques peuvent avoir une vitesse de réaction plus rapide en cas de pépin. Malheureusement, là où le bât blesse, c’est qu’une seule personne peut aussi bloquer des interventions en faveur de l’environnement, mais au détriment de la production hydroélectrique. J’ai observé cette dynamique à quelques reprises avec les résultats néfastes mentionnés ci-dessus, mais aussi quant à la mortalité des poissons. Dans les deux cas, c’est interdit par la Loi sur les pêches canadienne !

Si ce changement législatif va de l’avant, les petits producteurs hydroélectriques devront être mieux encadrés que par le passé.

L’appât du gain, comme trop souvent, risque d’être le principal moteur décisionnel en environnement, ce qui est moins le cas avec les plus gros producteurs, qui ont des moyens de production, disons, plus costauds !

Serait-ce possible de transmettre une bonne culture environnementale ou de s’assurer qu’elle soit inculquée aux petits producteurs ? Pouvons-nous leur faire confiance ? Sur la base des faits et de mes observations passées, poser la question, c’est y répondre. Aux deux ordres de gouvernement, les effectifs d’inspecteurs, d’analystes en environnement et les équipes d’intervention en cas d’urgence suffisent à peine à répondre aux plaintes formulées par les citoyens. Comment pourront-ils alors assurer une surveillance adéquate des petits producteurs qui risquent de pousser comme des champignons ?

Il faudra un encadrement étroit des petits producteurs d’hydroélectricité. Mais qui peut le faire ? Hydro-Québec, les ministères gérant l’environnement ou une entité paragouvernementale ? À suivre, avec inquiétude ! Plus d’électricité en circulation signifie plus de lignes de transport à installer (on nous dit que ce sera nécessaire) dans notre société. Personne n’en veut dans sa cour, et les premiers occupants non plus. Un autre gros problème potentiel à régler qui découlerait de ce changement législatif si le projet de loi est adopté !

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