Je reviens de Cuba, rien d’exceptionnel, je sais. Une superbe semaine sous le soleil, les étoiles. Le stress du papier de toilette pouvant manquer à tout instant – je soupçonne un trafic dans l’hôtel. La misère des déjeuners sans lait dans mon café, sans beurre sur mon pain. Les habitués ayant leurs pots de beurre de pinottes et de Cheez Whiz.

Quelle beauté, ce pays, quel peuple là-bas et moi qui bois leur bière, leur rhum todo incluido. Hola par-ci, hola par-là, je communique avec les locaux, gracias ! ¿ Tiene papel de Q ?

Une souffrance linguistique, je récupère en bronzant, en mangeant une langouste plus grande que mon assiette dans une île déserte remplie de sable blanc, de Blancs.

Eux, cultivant leurs terres, autour de mon château, à coups de machette. Faisant d’un vieil essieu soviétique une charrette magnifique.

Adios ! Ils m’envoient la main tristement, je leur réponds de l’autobus de façon princière.

Je suis un roi. Là-bas.

Mon avion nolisé me ramène, autre misère à traverser, serrée. Un enfant fait jouer Baby Shark à tue-tête sur sa tablette.

Je passe les douanes, mes bagages font déjà des tours de manège lorsque j’arrive au carrousel.

Je saute dans un taxi, rien à critiquer. C’est possible ?

Oh, non… c’est un étranger qui conduit le taxi, je savais que ça tournerait mal. Un de ceux qui causent la hausse des loyers, qui n’apprennent pas le français avant de venir ici.

Ma blonde commence à lui parler, non ! Encore une souffrance linguistique.

Le chauffeur à barbe nous explique que « snow gone, pas pelleter ! »

C’est tout ? Oh, non… mais plus sa langue se déliait, plus les sons devenaient fluides. Il me demande si tel mot est bien masculin, puis se trompe sur un autre, s’excuse, disant qu’il est pronominal. « What ? »

Je dépose ma bien-aimée chez elle et retourne dans le taxi. Il travaillait dans une banque là-bas, il a dû partir loin dans une autre ville du Bangladesh, il a choisi ici.

Nous discutons de la langue ourdoue, qu’il a apprise seul, il m’explique qu’elle n’a pas de lettre P. Le français, il l’a appris avant de venir ici, grâce au cinéma.

Combien de langues parle-t-il ? Cinq-six, me dit-il. Il y a plus de 50 lettres dans sa langue natale, la justesse de la prononciation est capitale.

Icitte, toé, son oreille doit s’ajuster… Il demandait hier à sa fille : « What time is it ? » Elle répondait : « Tree dirty. »

Son cerveau corrigeant l’image d’un arbre crotté par 3 h 30.

« Three thirty, darling. » La prononciation est capitale, me rappelle-t-il. Me disant fièrement que sa fille va à l’école française.

Il a dû choisir le taxi, avec sa famille à nourrir. Notre économie ne bénéficiera jamais de son intelligence.

Ça fait 20 minutes qu’il a arrêté son compteur, que nous discutons. Je lui serre la main, j’aimerais le serrer dans mes bras. Je lui demande de ne pas écouter ce qu’on dit ici sur les immigrants. Il rit, il a connu pire.

« Bonne chance, Monir ! » Mon cerveau corrigeant l’image de la lune et d’une oreille (moon-ear) par son nom.

J’ai eu les plus belles vacances cette semaine. Mais mon plus beau voyage aura été entre l’aéroport et chez moi.

Avant de rentrer, je remercie mes ancêtres français et anglais d’être venus ici. Et mes ancêtres autochtones de les avoir accueillis.

Je connais ma chance. Je suis un roi. Ici aussi.

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