Quel est l’objectif d’une caisse de retraite ?

Voilà une question surprenante pour un pays qui a passé près de 30 ans à bâtir un modèle de caisse de retraite qui est respecté et convoité dans le monde entier.

Pourtant, plus de 90 dirigeants d’entreprises canadiennes ont récemment signé une lettre ouverte⁠1 dans laquelle ils demandent aux gouvernements de faire de la réévaluation de ce modèle « une priorité nationale », en mettant l’accent sur l’introduction de mandats non définis qui ne soient pas liés aux rendements financiers.

Il nous faut donc commencer par le commencement.

En termes simples, l’objectif d’une caisse de retraite est d’aider à assurer l’avenir financier des travailleurs canadiens en leur versant les prestations de retraite promises à un coût raisonnable.

Ces prestations proviennent de deux sources. D’une part, les travailleurs canadiens et leurs employeurs cotisent pendant des dizaines d’années à des caisses de retraite, sous la promesse d’une sécurité financière au moment de la retraite. La deuxième source, qui est de loin plus importante, vient du fait que les caisses de retraite aident à tenir cette promesse en produisant les rendements de placement requis. Environ 80 % des prestations de retraite versées aux retraités proviennent des rendements de placement.

Et c’est là que s’arrête la simplicité. Investir pour les prochaines générations est un défi qui nécessite de composer avec l’incertitude des marchés et la complexité opérationnelle. Toute contrainte supplémentaire imposée, y compris de telles nouvelles exigences suggérées, ne fait qu’exacerber ces défis. Les portefeuilles deviennent moins efficients, les risques augmentent, les rendements de placement sont menacés et les retraites futures sont menacées.

Chef de file mondial

À l’heure actuelle, le Canada est le chef de file mondial des placements dans les caisses de retraite. Même s’il n’est que le 38pays en importance sur le plan de la population, le Canada occupe la troisième place en ce qui a trait à la richesse des caisses de retraite. Cette réussite s’explique notamment par la recherche de rendements de placement et l’absence d’ingérence politique.

Les modèles de gouvernance de nos caisses de retraite leur permettent également d’avoir des mandats clairs et des administrateurs qui respectent des pratiques de gouvernance de premier plan. Cette orientation commerciale constitue un avantage intéressant. Par conséquent, nos caisses de retraite sont très bien capitalisées.

Nous pouvons voir à quel point ce résultat est extraordinaire en examinant d’autres régions. Aux États-Unis, de nombreuses caisses de retraite et de nombreux systèmes de pension d’État sont sous-capitalisés. En effet, des villes ont déclaré faillite parce que leurs caisses de retraite étaient en crise, privant ainsi leurs travailleurs de leur épargne-retraite.

De plus, le pendant américain le plus direct du Régime de pensions du Canada, la sécurité sociale, va connaître des difficultés financières dans 10 ans. Par ailleurs, le RPC et d’autres régimes canadiens sont bien capitalisés.

Il est facile d’oublier que le Canada a déjà connu des difficultés semblables. Dans les années 1990, les inquiétudes croissantes concernant la solvabilité de nos caisses ont donné lieu à une série de réformes. C’est ainsi qu’est né le « modèle canadien » de placement dans les caisses de retraite.

Cette solution ne s’est pas faite au détriment de la croissance et du développement de l’économie canadienne. Au contraire, en réduisant les charges liées aux pensions et les coûts à long terme visant à assurer la sécurité à la retraite, nous avons contribué à la compétitivité du Canada.

Les caisses de retraite bien connues du Canada investissent massivement au Canada. Au moins 10 % de leurs portefeuilles sont investis ici, et plusieurs d’entre elles avoisinent les 30 %, voire plus.

Elles contribuent déjà à soutenir l’économie canadienne, non seulement en tant que propriétaires d’actions cotées en Bourse, mais aussi en tant que propriétaires de biens immobiliers, d’infrastructures et d’entreprises privées. Elles financent la dette des sociétés et des gouvernements partout au pays.

Des occasions plus intéressantes au pays seraient les bienvenues, advenant que le climat des affaires, la certitude politique, les impôts et d’autres facteurs de placement établissent un juste équilibre entre le risque et le rendement.

Pourtant, elles ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier. La recherche d’actifs diversifiés à l’échelle mondiale permet de protéger les participants contre les facteurs démographiques et économiques qui influent sur la viabilité financière de leurs caisses de retraite. Les changements au chapitre du vieillissement de la population canadienne, de l’emploi, de l’immigration et de la croissance des bénéfices contribuent tous à atténuer les risques liés aux placements dans différentes économies.

Si l’on se concentre trop sur le Canada, sans tenir compte d’autres occasions de placement intéressantes, on ferait un pas en arrière. Cela mettrait en péril la viabilité de nos caisses de retraite et ferait perdre aux participants la croissance et l’accès à des secteurs uniques ou à des avantages liés aux devises disponibles ailleurs. Par exemple, le rendement annuel moyen de l’indice S&P 500 au cours des 10 dernières années a été d’environ 14 %, contre 7 % pour l’indice S&P/TSX 60, en dollars canadiens.

Le modèle de caisse de retraite canadien exige déjà que les revenus de placement gagnés à l’étranger reviennent au Canada sous forme de prestations aux participants. De nombreux particuliers cherchent à reproduire cette approche avec leur propre REER ou CELI, avec des prestations similaires.

Forcer les caisses de retraite à investir davantage les cotisations des participants au Canada revient essentiellement à obliger les Canadiens à investir leur épargne personnelle ici.

Plutôt que de se tourner vers l’épargne des Canadiens, les gouvernements disposent d’autres outils pour atteindre divers objectifs de politique publique.

Les préjudices involontaires sont beaucoup plus probables lorsque des instruments de politique conçus pour des objectifs distincts (p. ex., la sécurité et la solidité des caisses de retraite par rapport au développement économique régional général ou aux subventions aux entreprises) sont confondus et mis en œuvre sans rendre de comptes au gouvernement à l’égard des résultats – bons ou mauvais.

Notre système canadien de sécurité des retraites, qui fait l’envie du monde entier, a été mis en place par des millions de Canadiens. Il fonctionne.

Il n’y a aucune raison de le sacrifier au profit de prestations non confirmées qui représenteraient un coût pour les participants aux caisses de retraite. Les caisses de retraite du Canada atteignent déjà l’objectif pour lequel elles ont été mises en place.

*Signataires : Robert Bertram, ex-directeur des investissements du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario ; David Denison ex-directeur général de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada ; Jim Keohane, ex-PDG du Régime de retraite des soins de santé de l’Ontario ; Claude Lamoureux, Jim Leech et Ron Mock, tous trois sont d’ex-PDG du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario ; Mark Wiseman ex-PDG de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada

1. Lisez « L’importance d’investir au Canada » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue