Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Le super mardi du 5 mars dernier a confirmé le retour presque inévitable du duel présidentiel redouté par une majorité d’Américains et d’Américaines : un match revanche entre Donald Trump et Joe Biden.

Si cette saison des primaires s’est avérée peu compétitive, elle soulève, dans les deux camps, de précieuses réflexions en vue de la présidentielle.

Alors que les 45e et 46présidents des États-Unis s’affronteront une nouvelle fois, leur route reste semée d’obstacles.

Le plus vieux président de l’histoire des États-Unis

Le parcours de l’actuel président commande le respect. Objectivement, Biden a accumulé au fil des années une expérience que toute personne aspirant à la présidence souhaiterait pouvoir mettre de l’avant. Or, tout ce bagage a été obtenu à la faveur d’une très longue carrière politique.

Alors que Biden accumule les moments de confusion, nombreux sont les électeurs et les électrices qui craignent qu’il soit trop âgé pour diriger le pays. Au sein même de son parti, une majorité de membres partage cet avis.

Si le discours sur l’état de l’Union a permis d’en rassurer beaucoup sur la santé du président, cet enjeu occupera néanmoins une place centrale dans la stratégie républicaine et dans l’esprit des électeurs et électrices.

Contrer le vote blanc

Bien que la nomination de Biden pour l’investiture démocrate n’ait vraisemblablement jamais été mise en danger, les récentes primaires lui ont tout de même envoyé un message clair quant à l’insatisfaction de beaucoup à l’égard de sa gestion du conflit israélo-palestinien.

D’abord dans l’État du Michigan, puis lors du super mardi, notamment au Minnesota, des dizaines de milliers d’électeurs et d’électrices démocrates ont décidé d’exercer un vote blanc afin de faire pression pour un cessez-le-feu au Proche-Orient.

En peu de temps et avec peu de ressources, le mouvement a réussi à récolter un appui non négligeable dans les primaires de certains États – 13 % au Michigan et 19 % au Minnesota –, témoignant de l’important mécontentement d’une partie de l’électorat.

Cette grogne dépasse les communautés arabo-musulmanes et pourrait mener à une érosion de l’appui de parties essentielles de la coalition démocrate, les plus jeunes notamment. Dans un contexte d’extrême polarisation aux États-Unis, où quelques milliers de voix peuvent faire pencher la balance d’un État clé (comme au Michigan), la situation appelle donc une réaction du côté des démocrates.

Un Trump impressionniste

La course à l’investiture républicaine a confirmé la domination de Trump au sein du Grand Old Party. Mais à l’image d’une œuvre de Claude Monet, lorsqu’on regarde le tout de plus près, cette certitude paraît plus floue.

Malgré les victoires éclatantes de Trump lors du super mardi, sa domination est moins claire dans les banlieues américaines. Par exemple, en Caroline du Nord – un État qui pourrait être particulièrement compétitif en 2024 –, il a remporté la primaire par plus de 50 points de pourcentage. Or, cet écart est considérablement réduit dans les comtés entourant les villes les plus importantes de l’État : ses marges de victoire varient entre 12 % et 20 % dans les comtés de Wake, Durham et Orange. Dans le comté de Mecklenburg, la marge baisse à 7 %. Ces données laissent entrevoir que les électeurs et électrices plus instruits, concentrés dans ces régions suburbaines, sont moins enclins à l’appuyer.

Par ailleurs, avec le départ de son adversaire Nikki Haley, Trump doit tenter d’élargir sa base, alors que les électorats républicain et indépendant qui ont appuyé la candidate, et qui sont généralement plus modérés, ne lui sont pas nécessairement acquis.

Un récent sondage national de la firme Emerson soulevait d’ailleurs que la majorité des électeurs et des électrices de l’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud favoriserait Biden plutôt que Trump (63 % contre 27 %)⁠1. En quittant la course républicaine, Haley n’a pas donné son appui à Trump et l’a plutôt invité à convaincre lui-même ses électeurs et électrices de l’appuyer.

Une stratégie politico-judiciaire qui a ses limites

Jusqu’à présent, l’ancien président arrive à jumeler ses activités politiques et judiciaires, voire à les faire aller de concert. Trump utilise ses démêlés avec la justice pour se présenter comme un martyr, récolter des fonds et consolider sa popularité.

Les décisions concernant ses procès pourraient être rendues après l’élection en raison des délais d’attente et des efforts de son équipe juridique. Il s’agit malgré tout d’une véritable épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

De nombreux sondages révèlent en effet qu’une importante proportion de l’électorat hésiterait à voter pour un candidat reconnu coupable d’un acte criminel. Cela pourrait contribuer à des basculements dans des États clés de la prochaine élection. Un sondage New York Times/Siena d’octobre 2023 laissait envisager un gain de 14 % pour le camp démocrate dans les États pivots advenant une telle situation⁠2.

Dans un contexte électoral aussi serré, avec deux candidats aussi connus que détestés, ces éléments sont susceptibles de faire pencher la balance. La montée d’une candidature indépendante – provenant du mouvement centriste No Labels par exemple – ou le retrait d’un des deux principaux candidats pourraient cependant rebattre les cartes.

1. Consultez le sondage de la firme Emerson (en anglais) 2. Lisez l’article du New York Times (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue