J’expérimente régulièrement et depuis des décennies notre système de santé en tant que patient. À l’aube d’une nouvelle réforme structurelle, je constate plus que jamais à quel point il est fragile, souvent à son point de rupture.

Et plus la demande de soins augmente au fil des épidémies, du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques, plus la « machine » à offrir des soins asphyxie lentement travailleurs et gestionnaires de la santé ainsi que la performance du système.

Pourtant, il existe une solution sous-exploitée qui peut contribuer significativement à réduire la pression sur notre système : arrêter de se limiter à l’efficacité de la seule offre de soins et se concentrer aussi sur l’intelligence de la demande. Et cette demande, en grande partie, c’est nous, patients atteints de maladies chroniques. Nous constituons aujourd’hui plus de 50 % de la population et bien plus si nous comptons nos proches tout aussi engagés dans notre quotidien.

Réalisons alors collectivement que nous développons une solide intelligence de soins en prenant presque toutes les décisions quotidiennes relatives à notre santé et en mobilisant pour cela toutes sortes de savoirs.

Nous nous adaptons et innovons constamment pour survivre dans un système complexe qui nous sert autant que nous le subissons. Cependant, même diminués par notre condition et en situation de vulnérabilité, nous ne sommes pas seuls à exercer notre intelligence de soins, car nous faisons partie d’une intelligence plus large, une intelligence collective composée d’alliés précieux que sont nos proches, notre communauté d’attache, nos organismes communautaires et nos associations de patients, pour ne citer qu’eux.

De cette intelligence collective dépendra notre capacité à rester chez nous en demeurant le moins dépendants possible du système. De cette intelligence dépendra la qualité de ces microdécisions décisives que nous prenons pour notre santé comme celle, très simple, de se reposer ou non, car nous nous sentons fatigués ou encore, plus spécifiquement, celle d’aller ou non sursolliciter les urgences un vendredi soir alors qu’elles sont déjà débordées.

Outiller les personnes souffrant de maladies chroniques

Quand on sait qu’au moins 50 % des patients se rendent aux urgences alors qu’ils n’en ont pas besoin, on ne peut qu’imaginer la marge de manœuvre dont nous disposons ici. De cette intelligence dépendra donc aussi la pertinence de nos demandes de soins et, par conséquent, de la pression que nous exerçons ou non sur le système et nos professionnels de la santé.

On ne transformera pas la population entière en médecins ou infirmières. Mais on doit aujourd’hui mieux outiller ceux qui souffrent de maladies chroniques pour les rendre les plus autonomes possible dans leurs décisions et la gestion de leur maladie.

La bonne nouvelle, c’est que les moyens éprouvés pour renforcer l’intelligence collective existent. Nous savons donc très bien comment agir sur la demande de soins plutôt que sur la seule offre de soins. Parmi les moyens les plus importants :

1. Mobiliser les puissants leviers offerts par la santé numérique en mode virtuel et directement dans les milieux de soins pour permettre une augmentation rapide des savoirs citoyens en santé ;

2. Renforcer considérablement les capacités d’action et d’éducation populaires déjà existantes des organismes communautaires et associations de patients pour accompagner notamment les populations les plus vulnérables ;

3. Accélérer les actions ministérielles pour soutenir les proches aidants qui sont et seront toujours la pierre angulaire des soins à domicile.

Si tous ces moyens sont mis en action au cœur de notre politique de santé, ils donneront rapidement du répit à l’offre. Dans le contexte d’une population de plus en plus malade, c’est donc incontournable. Cela nous permettra aussi à nous, citoyens, à titre de décideurs éclairés dans notre propre vie, de devenir davantage partenaires de transformation de notre système de santé tout autant que consommateurs de son offre de soins et services. Il reste ici un des rares effets de levier qui nous appartiennent et dont dépend la performance de toute la chaîne de valeur de la santé.

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