Dans sa chronique⁠1 du 31 mars 2024 sur l’exercice de révision du découpage de la carte électorale, Michel C. Auger a raison de dire qu’il y a des inégalités flagrantes dans le poids des votes lors de nos élections. Il a également raison de dire que réviser la carte électorale dans les critères actuels est une mission impossible. Par contre, le problème reste entier malgré les propositions avancées d’exceptions ou encore la création de nouvelles circonscriptions. On raterait l’occasion de régler le réel problème.

C’est que le problème se trouve dans les règles du jeu. Notre mode de scrutin cause de facto des inégalités de représentation des électeurs et électrices. Le nouveau découpage, avec ou sans exceptions, avec deux circonscriptions de plus ou de moins, fait en sorte qu’une portion de la population n’est pas représentée à l’Assemblée nationale.

Et quelle portion ! On parle de plus de 50 % des votes (environ 2 millions par élection) qui sont perdus d’un scrutin à l’autre puisque les votes attribués aux candidats qui ne remportent pas le siège dans la circonscription n’influencent pas du tout la représentation des élus.

Vouloir améliorer l’égalité de représentation sans toucher au mode de scrutin, c’est s’entêter à vouloir séparer une tarte de différentes façons en pensant trouver celle où les électeurs vont être plus satisfaits de leur part.

En y ajoutant seulement deux circonscriptions, les électeurs de celles-ci joueront la même dynamique : plus de la moitié des votes n’auront aucun poids dans la représentation des élus et élues. Peu importe comment on s’y prend, les mêmes règles du jeu donneront les mêmes inégalités de représentation.

Cynisme et désintérêt

Comment parler d’égalité de représentation lorsque la valeur de plus de la moitié des votes est purement symbolique ? On peut facilement comprendre le cynisme et le désintérêt politique, voire le découragement des électeurs dont le parti n’a aucune chance dans une circonscription.

Rappelons les résultats aberrants des dernières élections générales d’octobre 2022 : 80 des 125 élus l’ont été avec moins de 50 % des voix, renversant ainsi la volonté populaire de ces circonscriptions.

De plus, 13 des 17 régions administratives ont vu de 80 % à 100 % de leurs sièges occupés par un seul parti malgré un vote diversifié. Ces situations de monopole du pouvoir font en sorte que les électeurs qui n’ont pas voté pour la personne élue n’ont pas ou très peu de voix pour représenter leurs idées et opinions dans leur région administrative.

Comment parler d’égalité entre les électeurs quand avec un pourcentage de votes très rapproché, le Parti québécois (14,6 %) n’a récolté que 3 sièges, Québec solidaire (15,43 %) en a récolté 11, le Parti libéral (14,37 %) en a remporté 21 alors que le Parti conservateur du Québec (12,91 %) n’en a aucun ? Sans parler de la Coalition avenir Québec qui a pu récolter 90 sièges avec 40,98 % des votes.

Plutôt que de s’acharner à tenter une mission impossible en essayant de trouver la « bonne » solution dans les critères établis, la Commission gagnerait plutôt à conclure que les principes et critères de représentation sont inapplicables dans le mode de scrutin uninominal à un tour qui gouverne actuellement notre démocratie.

À la suite des derniers résultats électoraux, notamment du 3 octobre 2022, la Commission devrait recommander à l’Assemblée nationale de réviser le mode de scrutin actuel afin d’introduire un mode de scrutin apte à respecter la représentation effective des électeurs et l’égalité du vote exercé par chaque citoyen et citoyenne du Québec. Un projet de loi est déjà déposé en ce sens à l’Assemblée nationale pour adopter un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales.

Se préoccuper exclusivement du découpage de la carte électorale lorsque d’immenses segments de l’électorat se voient privés d’un vote effectif et significatif, c’est rater la cible d’offrir une réelle égalité de représentation des électeurs.

1. Lisez « Trop de géographie, pas assez d’électeurs » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue