Bien que les critiques perdurent, plusieurs géants industriels du chocolat tardent à revoir en profondeur leurs façons de faire en matière d’approvisionnement de cacao et méritent d’être boycottés, selon une importante organisation de consommation responsable établie en Grande-Bretagne.

Dans son plus récent classement, Ethical Consumer cible trois acteurs importants du secteur – Mars, Nestlé et Mondelez, propriétaire de Cadbury – comme étant « à éviter » et qui doivent en faire « beaucoup plus » sur le plan éthique.

Le rapport passe en revue 80 produits spécifiques et conclut que plus d’une cinquantaine, notamment les Smarties, les KitKat et les barres Toblerone, méritent un score de moins de 5 sur 20 en raison des coûts humains et environnementaux liés à leur mode de production.

La quasi-totalité est liée aux trois firmes précitées, qui rejettent l’appel au boycottage lancé par l’organisation britannique en insistant sur l’importance des efforts menés au cours des dernières années pour améliorer leur approvisionnement en cacao.

Des salaires suffisants ?

La majorité des fèves utilisées pour produire le chocolat offert dans les pays occidentaux provient d’Afrique de l’Ouest – la Côte d’Ivoire et le Ghana étant les principaux producteurs de la région.

Selon Ethical Consumer, près de la moitié des fermiers cultivant le cacao dans les deux pays africains vivent sous le seuil de la pauvreté. La situation favorise les abus, comme, souligne l’organisation, le recours au travail d’enfants.

Les géants du chocolat assurent, pour une part croissante de leurs achats, des paiements conformes aux exigences d’organisations de certification comme Fairtrade International ou Rainforest Alliance, qui visent à permettre aux fermiers d’obtenir une somme suffisante pour pouvoir vivre convenablement.

Plusieurs firmes assurent gérer par ailleurs leur propre programme de compensation, mais leur efficacité est contestée par diverses organisations, dont Oxfam.

Dans un rapport paru en printemps qui portait sur la situation au Ghana, l’organisation a notamment relevé que les fermiers avaient signalé que leurs revenus étaient en baisse au cours des dernières années.

Ce recul, indique le rapport, est notamment imputable à une baisse de productivité découlant d’évènements météorologiques négatifs et de l’augmentation marquée des coûts de production, tant pour les fertilisants que pour le transport.

La situation favorise actuellement une augmentation marquée du prix du cacao sur le marché international puisque la demande demeure forte. La hausse ne profite cependant pas nécessairement aux fermiers eux-mêmes, explique Mike Rogerson, spécialiste des chaînes d’approvisionnement rattaché à l’Université de Sussex.

Les géants du chocolat fixent chaque année, de concert avec les gouvernements du Ghana et de la Côte d’Ivoire, le prix à payer localement, sans nécessairement veiller aux besoins des fermiers, explique-t-il.

Les géants assurent faire des efforts

Philippa Naylor, porte-parole de Nestlé, a indiqué par courriel à La Presse que l’évaluation de l’entreprise faite par Ethical Consumer ne reflétait pas l’étendue des efforts mis en œuvre pour assurer un approvisionnement éthique en cacao.

La firme a notamment lancé il y a quelques années, dit-elle, un programme qui vise à rapprocher les revenus des fermiers du seuil requis pour vivre de manière décente et « réduire les risques de travail infantile » en récompensant notamment l’adoption de pratiques favorables à l’environnement.

Callie Noakes, porte-parole de Mars, a noté pour sa part que l’entreprise visait à assurer d’ici 2025 que l’ensemble du cacao utilisé est produit de manière éthique et peut être tracé jusqu’aux fermiers responsables.

Nous faisons des actions concrètes pour faire une différence dans les communautés productrices de cacao parce que nous savons que les actions pèsent plus que les mots.

Callie Noakes, porte-parole de Mars

Mondelez, qui n’a pas donné suite à la demande de réaction de La Presse, tient un discours similaire.

Droits de la personne

Mike Rogerson pense que les entreprises n’en font « tout simplement pas assez » pour régler les abus à propos des droits de la personne survenant dans les plantations, même s’ils sont bien au courant de la situation, notamment en ce qui a trait au travail des enfants.

« Peut-être que c’est parce que les actionnaires ne sont pas payés plus en fonction des gains enregistrés en matière de droits de la personne », ironise le chercheur, qui ne croit pas à la capacité de l’industrie de s’autoréguler.

Les assurances données par les géants du chocolat ne convainquent pas non plus Terry Collingsworth, directeur d’International Rights Advocates, qui a lancé plusieurs poursuites devant les tribunaux américains dans l’espoir de faire évoluer les pratiques des entreprises.

Le travail forcé et le travail d’enfants dans les plantations de cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire demeurent omniprésents, assure le militant, qui séjourne régulièrement dans les deux pays pour documenter la situation.

Les géants du chocolat, dit-il, sont convaincus « qu’ils peuvent s’en tirer sans véritablement changer leurs façons de faire », mais la multiplication des procédures en justice et la conscience accrue des consommateurs sont en train de faire bouger les choses.

« Les compagnies ont surtout investi beaucoup d’argent pour assumer les frais de lobbyistes et d’avocats chargés de protéger leur image. Ce qu’on veut ultimement, c’est qu’elles s’assoient avec nous pour élaborer un plan visant à régler durablement les problèmes », dit-il.