On pourrait croire qu’il naît grosso modo le même nombre d’enfants chaque jour au Québec… mais ce n’est pas tout à fait le cas. Chez l’humain aussi, il existe une « saisonnalité des naissances », qui varie selon les régions du monde et les époques. Au Québec comme ailleurs, elle a changé au cours des dernières décennies.

Changez vos draps et allumez vos chandelles, mesdames et messieurs : décembre est désormais le mois où l’on conçoit le plus de bébés au Québec. C’est donc neuf mois plus tard, en septembre, que les maternités sont les plus occupées au Québec. La différence n’est pas mineure : on parle de 15 % de naissances de plus en septembre qu’en décembre, le mois le plus creux.

En a-t-il toujours été ainsi ? Non. Du début des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990, le pic des naissances se situait plutôt aux mois d’avril et mai. Donc, un blitz de conceptions avait lieu pendant les vacances d’été. À l’époque, il y avait aussi un sommet en septembre, mais de moindre importance.

« C’est au début des années 2000 qu’il y a eu un certain renversement, observe la démographe Anne Binette Charbonneau, de l’Institut de la statistique du Québec. Il y a un recul des naissances au début du printemps : le pic d’avril a disparu. Et le pic de septembre s’est un peu accentué. » Le changement s’est fait tranquillement mais sûrement au fil de ces quatre décennies.

Les mois de juillet et d’août se sont également taillé une place de choix au palmarès des mois les plus productifs. « En fait, toute la saison de l’été, il y a plus de naissances aujourd’hui qu’il y en avait dans les années 1980 », résume Anne Binette Charbonneau.

Deux angles

Pourquoi la saisonnalité des naissances a-t-elle changé ? L’Institut de la statistique du Québec n’a pas de réponse précise à fournir, soulignant qu’il est difficile de départager ce qui vient du changement de comportement, de l’environnement et de la culture. La sociodémographe Laurence Charton se permet pour sa part quelques hypothèses. Il faut selon elle aborder la question sous deux angles : le moment de la conception, d’une part, et le moment de la naissance, de l’autre.

Côté conception, les vacances d’été étaient autrefois un moment propice, peut-être parce que, tout simplement, les couples passaient plus de temps ensemble. Aujourd’hui, ils ont peut-être davantage de contrôle.

Ça fait déjà un certain temps, mais les couples peuvent a priori décider aussi du moment où ils souhaitent avoir leur enfant en contrôlant leur fertilité par l’utilisation de la contraception.

Laurence Charton, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique

Et peut-être qu’aujourd’hui, l’été, on pense plus en mode vacances qu’en mode famille, résume-t-elle.

Les femmes semblent en effet avoir tendance à attendre la fin de l’été avant de mettre leur projet de bébé en route. Des chercheurs ont suivi une cohorte de Nord-Américaines désireuses d’avoir un enfant de façon naturelle, et la plus forte proportion d’entre elles commençait à essayer en septembre, octobre et décembre. Et c’est fin novembre, début décembre, qu’elles étaient le plus nombreuses à tomber enceintes.

« Dans les entretiens que j’ai pu avoir, je me souviens d’avoir entendu : on fait un dernier grand voyage avant la famille, et après, on met le bébé en route », raconte la professeure Laurence Charton. Un facteur environnemental pourrait s’ajouter à cela : la chaleur pendant l’été réduirait la concentration du sperme, et donc la fertilité chez l’homme, selon des études.

Si on aborde la question de l’autre côté – celui du moment des naissances –, des pistes intéressantes surgissent également. Il y a d’abord l’idée d’éviter une naissance en plein hiver, une saison où les balades en poussette sont moins propices et les virus, plus nombreux. Cette réalité québécoise n’est probablement pas étrangère au fait que le creux des naissances a lieu pendant les saisons froides, un constat qui n’a pas évolué depuis les années 1980.

Recherche d’une garderie

La Montréalaise Karine Jean-Louis a accouché de son premier enfant en septembre. Sa fille devait naître le 29 septembre (mais elle est arrivée début octobre). Et ce n’est pas le fruit du hasard. Pourquoi, septembre ? Un mot : garderie. « J’avoue que j’ai pas mal calculé pour avoir plus de facilité à trouver une place », confie Karine Jean-Louis. Le congé de maternité dure un an, et la plupart des places se libèrent en août, lors des départs à la maternelle. C’est aussi l’hypothèse de Laurence Charton. « J’ai fait des entretiens en Gaspésie avec des femmes qui ont accouché pendant la pandémie, et je peux vous dire que leur gros stress, encore plus que la pandémie, c’était la place en garderie », dit-elle.

Enfin, des parents planifient aussi la naissance en fonction de leur horaire de travail. Karine Dubois est consciente de sa chance d’avoir pu choisir (« c’est un luxe »), mais elle a eu ses trois enfants en juin, juillet et août, pour que son conjoint puisse prendre de plus longs congés de paternité. « L’été, c’est plus mollo au travail », explique-t-elle. Lorsque Laurence Charton se penche sur les statistiques de naissances par région, elle note que, sur la Côte-Nord, en Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et dans le Nord-du-Québec, on compte proportionnellement plus de naissances qu’ailleurs dans les mois plus froids. « C’est probablement lié à des activités professionnelles moins importantes dans ces régions », croit-elle.

L’âge à l’école

Au Québec, septembre est le mois des naissances par excellence, et les enfants de septembre sont les plus jeunes de leur classe à l’école. En Suède, les plus jeunes de la promotion sont ceux qui sont nés en décembre. Et les parents suédois auraient le réflexe inverse : considérant que les enfants les plus jeunes ont moins de chances de succès à l’école, les Suédois tâcheraient d’éviter les naissances de novembre et de décembre.

Dimension religieuse

En France aussi, le pic des naissances a évolué. Alors qu’il était auparavant entre février et avril, il est désormais en juillet. Et ce changement a peut-être trait... à l’abandon des pratiques religieuses. Les naissances entre février et avril correspondaient aux conceptions de la fin de la période du carême ainsi qu’à la période où les mariages étaient davantage célébrés, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques. Aujourd’hui, le pic de juillet découlerait de la préférence des couples.