Philippe Mercure
Elle a été retardée plusieurs fois, elle se déploie très (trop) graduellement… mais au moins, la consigne élargie se met en place. Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a mené cette réforme avec un fort vent de face, les détaillants ayant tout fait pour la faire dérailler. L’objectif est pourtant le bon : empêcher les différentes matières de se mélanger dans le bac de récupération et de se contaminer les unes les autres. En court-circuitant le centre de tri, on maximise le recyclage. Reste à voir si le système va fonctionner rondement et si les citoyens embarqueront… Tu es prête à rapporter tes canettes, Nathalie ?
Nathalie Collard
Bon, une autre affaire encore… Je trie déjà mes déchets, je classe mon recyclage, je garde mon compost dans le congélateur pour ne pas empester mon appartement entre les collectes, j’amasse mes objets non recyclables – piles, ampoules, vieux flacons de vernis à ongles, etc. – que je dois aller porter à l’écocentre qui n’est pas à la porte, on va se le dire… surtout quand on n’a pas d’auto. Et maintenant il faudrait que j’accumule mes canettes et cartons de lait consignés ? Et que je les traîne jusqu’à l’épicerie ? C’est moi ou ça commence à faire beaucoup ? D’abord, je vais bientôt manquer d’espace. Et puis, petite question comme ça : pourquoi on ne les collecte pas au bord la rue comme le recyclage et le compost ?
Philippe Mercure
J’ai peur en te lisant, Nathalie. Peur que ta réaction soit celle de nombreux citoyens quand ils verront arriver les changements. Ça me rappelle quand on nous a demandé d’apporter nos propres sacs à l’épicerie plutôt que de s’en faire donner chaque fois. On a fini par prendre l’habitude et personne n’est mort. Je pars du principe que s’il est possible d’apporter des contenants pleins du commerce vers la maison, il doit être possible de leur faire faire le trajet inverse une fois qu’ils sont vides. Quant à la collecte de rue… Il faudrait un camion pour l’aluminium, un pour le verre, un pour le plastique… Tu imagines la circulation, la pollution, les coûts ?
Nathalie Collard
Tu le sais sans doute, Philippe, je suis une grande amoureuse de Paris. Une des choses que j’apprécie là-bas : les cloches vertes qu’on retrouve dans les cours des appartements ou dans la rue. Le matin, tu descends avec tes déchets et tu les jettes dans la bonne cloche : papier, verre, plastique, déchets domestiques, etc. Puis tu pars au travail ou en promenade, les mains vides. Je n’ai jamais rouspété pour les sacs d’épicerie réutilisables, je trouve l’idée logique et facile d’exécution. Mais ce dont tu parles, c’est autre chose. Non seulement on doit se rendre à l’épicerie avec notre gros sac rempli de canettes et de vieux cartons de lait et de jus (j’imagine la grosseur du sac pour une famille de quatre ou cinq), mais en plus, on devra faire la queue devant la machine qui les récupère. On parle de combien de temps ici : 10 ? 15 ? 20 minutes d’attente ? Et y aura-t-il une machine pour les canettes et une autre pour les cartons ? Dans ce cas, il faudra multiplier l’attente par deux ? Chaque semaine ? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Philippe Mercure
Je connais aussi le modèle européen et c’est vrai que ça fonctionne. Mais au fond, ce qu’on met en place au Québec n’est pas si différent – sauf que les gobeuses remplacent les « cloches vertes ». Évidemment, il faut que les points de dépôt soient assez nombreux et que les machines fonctionnent bien pour éviter les files d’attente et les frustrations. À voir comment les gobeuses rejettent mes canettes de bière à raison d’au moins une sur trois, j’ai aussi des doutes. Bref : je suis pour le principe de la consigne élargie, mais je crains les problèmes d’implantation tout comme toi. Ce qu’il faut dire aussi, c’est que la consigne élargie ne règle pas tout. Il faudrait aussi encourager la réutilisation, comme le bon vieux système de lavage de bouteilles de bière qu’on est malheureusement en train de laisser tomber, ou le remplissage des contenants réutilisables directement dans les commerces.
Nathalie Collard
Peut-être faudrait-il songer à placer des « gobeuses » à plusieurs endroits dans la ville : pharmacie, stations de métro, quincailleries… La priorité devrait toujours être de faciliter le quotidien des gens si on veut qu’ils adhèrent à de nouveaux comportements. Si on fait toujours peser le poids de la responsabilité sur les épaules déjà très chargées des citoyens, on se butera à des réactions comme la mienne. Et puis, comment se fait-il que les manufacturiers ne réussissent pas à fabriquer des contenants facilement recyclables ? On envoie bien des vaisseaux vers la planète Mars, et on est incapable de recycler un carton de boisson d’avoine ? Bon, tu vois, j’ai envie d’être un peu de mauvaise foi. Mais sérieusement, je pense que je vais continuer à faire ce que je fais avec mes canettes : je les place dans un sac papier à côté de mes poubelles et quelqu’un les ramasse illico. Il se fait quelques sous et moi, j’ai bonne conscience… à défaut de me sentir vertueuse.