C’est lundi matin, et les élèves de 3e et de 4année arrivent dans la classe de Madame Sandra.

Quelques indices frappants qu’on n’est pas dans une classe ordinaire du primaire ?

Les lumières restent fermées. Ils ne sont « que » six élèves. Et il y a une tente au milieu de la classe.

Si cette classe est différente, c’est parce que les élèves de Sandra Laplante sont différents. Ils ont un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

Nous sommes dans une classe en adaptation scolaire pour enfants autistes (les classes « relations », selon la terminologie du centre de services scolaire Marie-Victorin) à l’école primaire Carillon, à Longueuil. J’y ai passé une matinée.

Alors qu’on manque de profs qualifiés en adaptation scolaire au Québec (à Montréal et à Laval, un enseignant sur deux en adaptation scolaire n’a pas les qualifications requises, selon une enquête de ma collègue Caroline Touzin publiée en août⁠1), je voulais voir ce qu’une classe en adaptation scolaire – avec une prof qualifiée – peut faire comme différence dans la vie d’un enfant avec un TSA.

Ces élèves sont attachants et intelligents. Mais ils ont des besoins particuliers. Beaucoup de besoins particuliers.

Certains ont des troubles de langage, d’autres, des troubles sociaux, d’autres encore, des troubles sensoriels. Parfois, c’est une combinaison.

« On s’adapte aux besoins de chacun, pour que chacun soit bien », dit la technicienne en éducation spécialisée Véronique Gagnon, qui épaule Sandra Laplante.

Ce matin-là, c’est tranquille dans la classe, me disent Sandra et Véronique.

Tranquille, c’est selon leur perspective à elles.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Véronique Gagnon et Sandra Laplante, responsables de la classe des 3e et 4années, dans un corridor de l’école Carillon, à Longueuil

Si elles devaient quitter la salle pendant 30 minutes, ça deviendrait vite une catastrophe. Parce que je n’ai aucune idée de la façon d’enseigner à des enfants autistes. Mais aussi parce qu’ils ne me connaissent pas (le changement ou la surprise, généralement, les désorganise), et parce que je ne les connais pas (je ne sais pas quelle routine les rassure).

Mais Sandra et Véronique sont là, donc c’est relativement calme.

En arrivant en classe, tout le monde range ses affaires dans le premier de deux bureaux (chacun a un bureau en retrait avec toutes ses affaires et un autre au centre de la classe).

Ranger ses affaires, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, direz-vous. Peut-être pour un élève neurotypique. Dans la classe de Sandra et Véronique, il a fallu s’entraîner pour implanter cette routine. « Pour expliquer les consignes, nous avons fait des pièces de théâtre avec Véronique comme élève », dit Sandra Laplante.

On commence la journée avec une période de « détente ». C’est important, car les enfants autistes ont besoin de davantage de pauses.

Ensuite, ils s’assoient à leur bureau au centre de la classe et racontent leur week-end. Quatre élèves sont assis à leur place. Un cinquième élève est plutôt dans un coin : il se frotte la tête contre un divan. C’est normal. Il a besoin d’apaiser ses sensations.

On commence ensuite la première période de travail.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

On compte six élèves dans la classe de 3e et de 4année de madame Sandra. Chacun a des besoins différents, sur les plans tant social que scolaire.

Six classes d’un élève

Attention, ce n’est pas un cours magistral. Dans une classe pour enfants autistes, le prof n’enseigne pas au tableau devant ses élèves.

En fait, Madame Sandra n’a pas une classe de six élèves. Elle a six classes d’un élève.

Chacun a des besoins différents, sur les plans tant social que scolaire. Un même élève peut être de niveau de 2année en français et de 4année en maths. Tous ont un programme de suivi particulier et adapté.

Par exemple, Gabriel* a un trouble de langage prononcé. Sandra et Véronique le comprennent quand il parle. Pas moi. Ni la directrice de l’école.

Nathan* fait ses exercices debout à son bureau. Dans une classe régulière, ça ne pourrait pas être toléré. Ici, c’est normal.

Sandra et Véronique sautent d’un élève à l’autre pour s’assurer qu’ils ont compris l’exercice du jour, qui porte sur les noms communs et les noms propres avec l’Halloween comme thème. « On voit toutes les matières du programme, dit Sandra. C’est vu, mais ce n’est pas acquis à 100 %. Ce sont des enfants qui ont développé leur langage plus tard. Et la gestion des émotions joue sur les apprentissages. »

La gestion des émotions. C’est l’un des grands défis des enfants de cette classe.

Chaque enfant autiste est différent. Certains sont hypersensibles, d’autres, hyposensibles. L’intensité de leurs réactions varie énormément. Certains enfants autistes (dont le trouble est relativement léger) sont capables de fonctionner dans une classe ordinaire à 19 élèves, mais beaucoup d’autres non. Ceux-là « se sentent envahis » dans une classe ordinaire, explique la directrice de l’école Annie Tétreault. Ils font alors partie d’une classe en adaptation scolaire, avec six ou sept élèves par classe, comme avec Madame Sandra. (Les cas les plus lourds fréquentent des écoles spécialisées.)

Même à six élèves par classe, c’est du sport. Beaucoup de sport.

Au début de l’année, Gabriel s’enfuyait sans avertissement de la classe, faisait des crises, donnait des coups. Il a essayé de mordre ses enseignantes. Ça va maintenant beaucoup mieux. Il s’est habitué à Sandra et Véronique, qui ont trouvé des trucs pour le comprendre. (« On n’a pas encore trouvé comment faire pour qu’il ne s’enfuie pas à la bibliothèque, mais on est seulement en octobre », dit Véronique.)

Ces enfants ont besoin de routine, d’un environnement familier. Une surprise qui serait banale pour un enfant neurotypique peut, eux, les désorganiser et provoquer une crise.

Parfois, on ne peut pas déplacer une chaise [sinon il y a une crise].

Sandra Laplante, enseignante en adaptation scolaire à l’école Carillon

Il faut aussi prévoir davantage de périodes de repos. D’où la tente au milieu de la classe. Il y a même une salle d’apaisement, un vélo stationnaire dans le corridor et une nouvelle salle sensorielle avec de la musique, une tente là aussi, une balançoire et des poufs.

L’école primaire Carillon, qui accueille surtout des élèves du « régulier », compte quelques classes en adaptation scolaire pour les enfants autistes. Les enfants restent généralement deux ans dans la même classe de type « relations ». À l’école Carillon, les enfants de 3e et 4années sont dans la salle de Madame Sandra. Ils font ensuite leurs 5e et 6années chez Madame Marie-Soleil.

« L’enfant apprend à nous connaître », dit Véronique Lasalle, la technicienne en éducation spécialisée de la classe de Marie-Soleil Arcand. « Un lien de confiance, ça change tout. Ce lien, on le tisse à petites doses. Quand il y a trop d’intervenants, c’est impossible pour eux. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Marie-Soleil Arcand et Véronique Lasalle s’occupent de la classe en adaptation scolaire des élèves en 5e et 6années.

Mille défis quotidiens

On n’a pas idée des mille défis quotidiens pour un enfant autiste à l’école. Et des petits miracles qu’accomplissent chaque jour Sandra, Marie-Soleil et toutes les profs et les TES en adaptation scolaire.

En les regardant interagir avec les enfants, je constate qu’enseigner à des enfants autistes n’est pas un métier. C’est une vocation. Une vocation où le lien prof-élève est très fort. « Ce sont mes petits cœurs, dit Sandra Laplante. C’est vrai qu’il faut de la patience. Mais les jours passent vite. J’aime aider ces enfants pour qui c’est moins facile. »

Marie-Soleil Arcand et Sandra Laplante sont des enseignantes qualifiées en adaptation scolaire. Elles ont un bac dans cette spécialisation et ont chacune plus d’une dizaine d’années d’expérience. Ce bagage fait toute une différence.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Véronique Gagnon, Marie-Soleil Arcand, Véronique Lasalle et Sandra Laplante

Des enfants autistes en classe d’adaptation peuvent-ils réintégrer une classe ordinaire ? Ça arrive. Rarement. La quasi-totalité d’entre eux s’épanouiront mieux dans une classe adaptée à leur différence.

« Ici [à l’école Carillon], on est chanceux, dit Marie-Soleil Arcand. D’autres centres de service enlèvent [ces classes en adaptation scolaire]. Quand on coupe une classe, on vient de rendre la vie plus difficile à ces enfants. »

Ces enfants qui bûcheront toute leur vie. « Leur plus gros défi, c’est de faire leur vie dans un monde neurotypique, alors qu’ils sont différents », dit Marie-Soleil Arcand.

* Les prénoms ont été modifiés afin de protéger l’identité des enfants.

Qu’est-ce qu’un trouble du spectre de l’autisme ?

Le trouble de spectre de l’autisme (TSA) est un trouble neurodéveloppemental avec des répercussions sur la communication, les interactions sociales et le comportement. Ce n’est pas une maladie. On ne peut donc pas traiter un TSA, mais on peut réduire certaines difficultés avec des méthodes d’intervention. On suspecte que le TSA serait causé par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. On estime que 1,5 % des Québécois ont un TSA.

Source : Fédération québécoise de l’autisme

1. Lisez « Le “mirage” des classes spécialisées », une enquête de Caroline Touzin Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue