On sait depuis une semaine que s’ils acceptent les ententes de principe, les employés du secteur public auront tous des hausses salariales minimales de 17,4 % sur cinq ans. Mais combien coûtera cette entente à Québec ? Au moins 3,4 milliards de plus par an, à terme…

Le chiffre de 17,4 % ne donne pas le portrait complet des ententes de principe.

En plus des hausses salariales, les employés du secteur ont obtenu d’autres bonifications de leurs conditions de travail. Une contribution supplémentaire de l’employeur pour les assurances. Des primes pour certains employés. Des ajustements d’échelles salariales pour certains emplois, comme les psychologues.

Selon mes informations, Québec a consenti des hausses globales de rémunération qui pourraient aller de 21,2 % à 22,2 % sur cinq ans (pour simplifier la lecture, nous prendrons 21,7 %, soit la moyenne de cette fourchette). Cette estimation inclut tout : hausses salariales, améliorations au régime d’assurances, bonifications et autres primes. J’ai obtenu ce chiffre auprès d’une source syndicale du Front commun qui a une connaissance directe de cette estimation du gouvernement du Québec, mais qui n’est pas autorisée à parler publiquement.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La mobilisation des enseignants membres de la Fédération autonome de l’enseignement leur aura permis de préserver leur pouvoir d’achat.

Attention, ça ne veut pas dire que tous les profs, les travailleurs de la santé et les employés du secteur public auront 21,7 % de plus sur leur paye.

Ça veut plutôt dire que Québec devrait débourser environ 21,7 % de plus sur cinq ans sur la masse salariale en hausses salariales et en bonifications des conditions de travail pour l’ensemble des 570 000 employés de l’État touchés par ces négos.

Quelle sera la facture finale pour le gouvernement et les contribuables ? Les dernières concessions salariales effectuées en décembre par Québec devraient entraîner une hausse des dépenses d’environ 3,4 milliards par an à terme en 2027-2028, selon mes calculs⁠1.

Décortiquons ça en détail, pour les employés du secteur public comme pour les contribuables.

Le pouvoir d’achat protégé

Tout d’abord, s’ils acceptent les ententes de principe, les employés du secteur public conserveront tous leur pouvoir d’achat.

En comptant l’année 2022 où l’inflation a été très élevée et en utilisant les prévisions du ministère des Finances du Québec, il faut une hausse des salaires de 17,7 % sur cinq ans pour combler l’inflation de 2022 à 2027 (en tenant compte de la hausse salariale de 2,4 % déjà donnée en 2022).

Dans l’entente de principe, tous les employés du secteur public obtiennent des hausses salariales minimales de 17,4 % sur cinq ans.

Il manque donc 0,3 %.

Ce 0,3 %, les syndicats du Front commun sont allés le chercher dans les assurances, où l’employeur paiera davantage (150 $ par an pour une personne, 300 $ pour une famille). Les syndicats calculent que ces cotisations supplémentaires représentent une dépense d’environ 0,35 % sur la masse salariale pour l’employeur.

En comptant les gains salariaux et les cotisations d’assurance, on arrive donc à une hausse de 17,7 % sur cinq ans. Soit exactement l’inflation.

Les ententes de principe prévoient aussi un mécanisme de protection contre une inflation plus forte que prévu pour les trois dernières années de l’entente. Avec les prévisions actuelles d’inflation, on n’aurait pas besoin d’activer ce mécanisme (ex. : la hausse salariale de 3,5 % en 2027-2028 est supérieure à l’inflation prévue de 2,0 % en 2027).

Primes et autres hausses

En plus, certains employés auront davantage que des hausses salariales de 17,4 %, car on ajustera certaines échelles salariales à la hausse. Les primes en santé augmenteront. Il y aura du financement pour des aides à la classe au primaire (environ 300 millions). On appelle toutes les bonifications des conditions de travail pour certains types d’emplois des « bonifications sectorielles ». Ces bonifications sectorielles sont souvent associées aux priorités gouvernementales (ex. : rendre les quarts de travail défavorables dans le milieu de la santé plus attrayants).

Dans le dernier blitz de négos en décembre, les syndicats du Front commun et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) se sont entendus sur les bonifications sectorielles. Par exemple, l’une d’elles permettra aux psychologues du secteur public de réduire leur écart de salaire avec leurs collègues du secteur privé.

Selon nos informations, Québec a alors indiqué informellement à la partie syndicale que les bonifications prévues pour l’ensemble des employés de l’État devraient lui coûter quelque part entre 3,5 % et 4,5 % de la masse salariale. Cette estimation n’est ni officielle ni finale. Entre autres parce que toutes les ententes sectorielles ne sont pas conclues. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente la grande majorité des infirmières, négocie toujours avec Québec⁠2.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Des infirmières de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec en grève, en décembre dernier

Le gouvernement Legault n’a pas confirmé cette estimation. Il serait étonnant qu’il le fasse avant la mi-février, quand les votes sur les ententes de principe seront terminés. (C’est d’ailleurs une excellente idée que Québec fasse profil bas pendant la période du vote.)

En étant conservateur, on peut estimer que les bonifications sectorielles représenteront une hausse d’au moins 3,5 % de la masse salariale. Dans sa mise à jour économique en novembre, Québec avait d’ailleurs déjà prévu des bonifications sectorielles équivalant à 3,0 % de la masse salariale.

Des milliards en coûts additionnels

En comptant tout, donc, les employés du secteur public obtiennent globalement des hausses de leurs conditions de travail (salaires, assurances et bonifications sectorielles) quelque part entre 21,2 % et 22,2 % sur cinq ans.

Dans sa plus récente mise à jour économique, le gouvernement avait déjà budgété son offre de 14,8 % sur cinq ans (11,8 % pour les salaires, 3,0 % pour les bonifications).

Le résultat des négos, c’est que Québec paiera davantage, soit au moins des hausses supplémentaires de 5,6 % pour les salaires. Cette différence devrait coûter 3,4 milliards par an en 2027-2028.

Au total, les hausses de salaire de 17,4 % et la hausse des cotisations d’assurance devraient à terme coûter environ 10,6 milliards. Québec en a déjà budgété environ 7,2 milliards, d’où le coût supplémentaire de 3,4 milliards.

Ce chiffre augmentera un peu en tenant compte de la hausse des bonifications. L’entente éventuelle avec la FIQ pourrait aussi faire bouger légèrement l’aiguille, si ce syndicat obtient des gains additionnels.

En 2027-2028, le gouvernement du Québec prévoyait justement revenir à l’équilibre budgétaire. Il faut plutôt s’attendre à un déficit d’au moins 3,4 milliards.

Ça ne serait pas la fin du monde. Les finances publiques du Québec sont solides. Et dans le contexte actuel, on peut se permettre de mieux rémunérer celles et ceux qui enseignent à nos enfants et prennent soin de nos malades et de nos aînés.

1. Le gouvernement du Québec a énoncé publiquement à l’automne que chaque hausse de 1 % de la masse salariale des employés de l’État lui coûte 600 millions par an à terme, en 2027-2028.

2. On estime que la FIQ obtiendra les mêmes hausses salariales minimales et les mêmes bonifications que le Front commun. De toute façon, les conventions collectives bénéficient généralement de « clauses remorques » pour le même type d’emploi.

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